
D’après le rapport annuel de la FAO, le nombre de personnes victimes de la faim s’est stabilisé en 2022, après trois années de forte hausse. Les effets négatifs de la guerre en Ukraine ont été contenus. Le rapport approfondit cette année la question de l’urbanisation. Il montre l’importance des phénomènes de périurbanisation et la vulnérabilité des familles rurales face à l’inflation alimentaire.
L’effet COVID et l’effet guerre en Ukraine
En 2022, la FAO estime que 935 millions de personnes ont souffert de la faim, soit 9,2% de la population mondiale. Ces chiffres sont des premières estimations, susceptibles d’être modifiées par la suite. Cette stabilisation fait suite à trois années de forte hausse. Par rapport à l’année 2019 qui a précédé le déclenchement de l’épidémie de COVID, la prévalence de la faim est passée de 7,9 à 9,2 % de la population mondiale. Ce sont 122 millions de personnes supplémentaires qui ont été affectées.

La stabilisation du nombre de personnes en situation de sous-nutrition résulte de facteurs ayant joué dans des sens opposés : l’amélioration du contexte économique consécutif au recul de l’épidémie de COVID a joué positivement sur la situation alimentaire ; l’accélération de l’inflation alimentaire, aggravée par la guerre en Ukraine, a joué en sens inverse.
Les experts de la FAO estiment que la guerre en Ukraine a plongé, via l’inflation alimentaire, 23 millions de personnes supplémentaires dans la sous-nutrition alors que l’impact de la COVID serait de 96 millions de personnes sur les trois années passées.
Amélioration de la situation en Asie et en Amérique Latine, détérioration en Afrique et dans les Caraïbes
Si 55% des personnes en situation de sous-nutrition habitent en Asie, leur nombre diminue plus rapidement qu’ailleurs. En 2022, leur nombre a reculé d’un peu plus de 10 millions (sauf en Asie de l’Ouest où la situation s’est fortement aggravée en Afghanistan). En 2022, la FAO estime que 8,5 % des Asiatiques sont touchés par la faim.
En revanche 20 % des Africains sont affectés par le fléau, et nettement plus dans la corne de l’Afrique et dans les régions touchées pas l’insécurité et le terrorisme. Globalement, la faim a continué de gagner sur le continent, affectant 12 millions de personnes supplémentaires en 2022. De l’Afrique du Nord, très dépendante du marché mondial du blé, au sud du continent, aucune sous-région du continent n’a été épargnée.
La dégradation la plus rapide de la situation alimentaire a été observée dans la zone Caraïbe où la faim a progressé de près de 11% en 2022. Cela est dû à la très forte dégradation de la situation en Haïti. La situation s’est en revanche améliorée en Amérique Latine, avec une baisse de 3 millions du nombre d’habitants affectés, tous situés dans la partie sud du continent, aucun progrès n’ayant été observé en Amérique Centrale.

Les ruraux, les urbains et les périurbains
Cette année, les experts de la FAO ont approfondi la question du lien entre l’urbanisation et l’évolution de la situation alimentaire. Ils nous montrent combien la vision schématique de deux mondes aux caractéristiques distinctes, l’un dans les villes et l’autre dans les campagnes, simplifie outrageusement la réalité et peut conduire à des actions contreproductives en matière de lutte contre l’insécurité alimentaire.
En premier lieu, il existe une sorte de continuum entre les habitants des métropoles et des villes grandes ou moyennes et ceux occupant d’autres modes d’habitat. Quand on quitte la ville, le premier groupe rencontré est celui des périurbains vivant à proximité des agglomérations sans y être intégré et dont les caractéristiques diffèrent suivant la plus ou moins grande proximité des centres urbains. De même, les caractéristiques des ruraux ne sont pas les mêmes suivant la distance les séparant de la ville ou du village le plus proche.
Il faut tenir compte de cette complexité des structures spatiales pour comprendre et agir sur les dynamiques des systèmes agricoles et alimentaires.
Implications pour les systèmes agricoles et alimentaires
Le rapport de la FAO détaille le cas de 11 pays africains. Il révèle que la part de l’alimentation autoproduite est devenue minoritaire quelle que soit la localisation de la population. Dans les villes, les familles se procurent de 78 à 97 % de leur nourriture sur les marchés, l’autoproduction étant marginale. L’autoproduction est également devenue minoritaire dans les familles rurales où la majorité de la nourriture est désormais achetée, y-compris dans les zones les plus retirées. Au Sénégal, les familles rurales achètent par exemple de l’ordre de 80 % de leur nourriture, en Côte d’Ivoire, de l’ordre de 70%.

Pour contribuer à la sécurité alimentaire, il faut donc organiser les marchés locaux de produits agricoles de base et organiser les petits producteurs agricoles pour qu’ils puissent y accéder et y valoriser leurs produits. Cela passe souvent par de la transformation locale, via un tissu de petites ou toutes petites unités de production valorisant et améliorant les savoir faire traditionnels. Sans de telles organisations de filières locales, le risque est d’accroître la dépendance des pays vis-à-vis du marché mondial et de ses puissants opérateurs multinationaux.
La prise en compte de la complexité des relations entre urbains, périurbains et ruraux milite en faveur de nouvelles formes de gouvernance sur les territoires associant leurs différentes parties prenantes. D’Antanarivo à Madagascar à Quito en Equateur, le rapport de la FAO illustre des exemples de gouvernance multi-acteurs qui misent sur les synergies entre urbains, périurbains et ruraux pour assurer la résilience des systèmes agricoles et renforcer la sécurité alimentaire.