
Tribune parue cette semaine dans Le Point. D’une COP à l’autre, la question des financements climatiques vers les pays moins avancés prend de l’ampleur. Elle concerne la promesse, datant de plus de dix ans, d’un transfert de 100 milliards de dollars par an au titre de l’adaptation et de l’atténuation du changement climatique. L’an passé, la « Conférences des parties » de Charm el-Cheikh (Égypte) a acté le principe d’un fonds supplémentaire dédié au financement des pertes et dommages induits par le réchauffement global.
Au moment de l’ouverture de la COP28 à Dubaï (Émirats arabes unis), un double constat peut être dressé. En 2021, il a encore manqué 10 milliards à l’appel pour atteindre l’objectif des 100 milliards. Quant au fonds pour les pertes et dommages, il n’a pas encore levé la moindre somme, les négociateurs peinant à s’accorder sur sa gouvernance. Les financements dirigés vers les systèmes agricoles reçoivent aujourd’hui moins de 10 % du total. Une portion bien congrue quand on connaît l’ampleur des défis à relever.
Chocs climatiques
Dans tous les pays du monde, l’agriculture est un secteur particulièrement affecté par les changements climatiques. L’échelle des dommages n’est cependant pas comparable au Nord et au Sud. Au Canada, les agriculteurs ont par exemple perdu 40 % de la récolte de blé en 2021, l’année où les pics de chaleur ont pulvérisé leurs records historiques. Un choc très dur à absorber pour certains.
Dans le Sud marocain, les trois dernières années consécutives de sécheresse ont entamé le capital productif (décapitalisation du cheptel, pertes d’arbres, réduction des surfaces cultivables…) et appauvri la majorité de la population. Constat similaire en Haïti, où beaucoup de producteurs subissant des chocs climatiques répétés n’ont pas pu remonter la pente depuis le passage de l’ouragan Matthew en 2016.
Dans les pays moins avancés, l’agriculture occupe un quart des actifs (moins de 3 % en Europe), et pratiquement la moitié si on inclut les activités qui lui sont directement rattachées. Sitôt que des chocs, d’origine climatique ou autre, affaiblissent l’agriculture, toute l’économie vacille, avec des conséquences en chaîne sur les conditions de vie. C’est le cas d’Haïti, pays le plus pauvre de la zone Caraïbe, où les producteurs sont affectés par les effets conjugués des chocs climatiques (ouragans d’intensité croissante et irrégularité des précipitations), des tremblements de terre et de l’insécurité croissante consécutive à l’instabilité politique chronique.
Les rapports du Giec nous disent que les impacts du réchauffement climatique vont continuer à s’accroître pendant plusieurs décennies, y compris dans les scénarios les plus favorables. On ne sait pas contrôler, ni même prévoir avec une bonne précision, la fréquence et l’intensité de l’activité sismique. Pour faire face, il n’y a pas d’autre voie que d’investir dans les systèmes agricoles très majoritairement composés de petits producteurs pour favoriser leur résilience.
Résilience agricole
Cela implique en premier lieu de réaliser les bons diagnostics. En Haïti, cela est réalisé dans la commune de Saint-Raphaël (nord du pays), grâce à la collaboration entre le ministère de l’Agriculture, des ONG de terrain, des chercheurs de l’université de l’État à Limonade et de l’IRD. Lorsqu’on les interroge, les producteurs ont une bonne représentation des changements climatiques, aussi bien en zone de montagne qu’en plaine. Leurs adaptations spontanées pour faire face aux baisses de rendement consistent principalement à décaler les calendriers de production. Mais c’est insuffisant et ils sont souvent contraints à compenser les pertes de revenus par la production de charbon de bois et la vente d’une partie des troupeaux.
Ces adaptations spontanées conduisent à un appauvrissement des petits producteurs agricoles. Le mouvement est cumulatif car le milieu naturel s’appauvrit également : érosion des sols, déforestation, inondation des bas-fonds… Les diagnostics réalisés montrent que l’inversion de ce double cycle d’appauvrissement passe par des changements de système de production. Sur le plan agricole, cela implique des méthodes agroécologiques à base de diversification des productions, de rotations et de méthodes culturales assurant la restauration de la matière organique des sols, d’agroforesterie pour lutter contre la force des vents et l’érosion des pentes, sans oublier la maîtrise de l’irrigation pour lutter contre les épisodes de sécheresse.
Les petits producteurs n’ont pas les connaissances suffisantes, ni les moyens pour effectuer ces transformations, surtout s’ils restent dans des démarches individuelles. La bataille pour une meilleure résilience des systèmes agricoles se gagne dans des actions collectives, impliquant regroupements et mise en commun de moyens et de connaissances, dépassant les frontières des exploitations. Dans les projets de restauration du bassin-versant de Limbé, situé dans le nord d’Haïti, ces démarches reposent ainsi sur la mobilisation de l’ensemble des acteurs du territoire.
Adaptation et d’atténuation
Sous l’impulsion des organisations communautaires de base (OCB), associations locales structurées pour améliorer l’accès des populations aux services de base, les agriculteurs mobilisent les mécanismes traditionnels d’entraide appelés kombits. Ils mettent ainsi en commun leur force de travail afin d’installer sur les flancs des collines escarpées un ensemble d’infrastructures naturelles : micromassifs forestiers, vergers agroforestiers, bandes antiérosives… Au-delà des effets recherchés par les communautés sur la résilience de leurs territoires (protection des espaces agricoles, gestion de l’eau agricole et protection des captages d’eau potable), ces infrastructures contribuent à la séquestration de carbone par le milieu naturel.
Dans les COP, un cheval de bataille des pays du Sud est la frilosité les bailleurs de fonds occidentaux pour débloquer des financements destinés à l’adaptation au changement climatique. Une spécificité importante de l’agriculture est que les actions d’adaptation renforçant la résilience sont aussi celles qui freinent le réchauffement, notamment en déployant des systèmes agricoles capables de lutter contre la déforestation et de stocker du carbone dans les sols. Accroître les financements dirigés vers l’agriculture est aussi l’un des meilleurs moyens de combler le déficit des financements climat fléchés sur l’adaptation.
*Hérauld Museau est coordonnateur national et représentant d’Haïti au sein d’AgriSud International. Christian de Perthuis est administrateur d’AgriSud International.
Un avis sur « COP28 : financer plus et mieux l’agriculture »