
La décennie en cours est cruciale pour tenir nos engagements climatiques. Pour atteindre nos objectifs de réduction d’émissions en 2030, il faut doubler le rythme de baisse observé depuis 2005. C’est possible, à condition de mettre les bouchées doubles.
Les entreprises qui sont en train de se transformer face à ce défi, ont besoin d’un cap clair et stable et d’une volonté publique sans faille. Faute de quoi, les investissements massifs à réaliser ne pourront être que ralentis, voire stoppés, avec toutes les conséquences négatives en matière d’emploi et de développement du tissu productif. Du côté des consommateurs, les comportements doivent être orientés vers la réduction de l’utilisation des énergies fossiles, ce qui implique des politiques publiques conjuguant solidarité et sobriété énergétique.
Face à ces données incontournables, le programme du Rassemblement national – pour autant qu’on puisse s’y référer, au vu des changements de dernière minute qui y sont apportés – est manifestement contre-productif. Dans ses 22 mesures, le mot « climat » n’apparaît pas. En revanche, on y trouve des propositions dont la mise en oeuvre conduirait à une reprise des émissions de gaz à effet de serre.
Normes punitives
En matière énergétique, le programme préconise un coup d’arrêt au développement des énergies renouvelables. Or ce sont les seules alternatives pour produire d’ici à 2040 l’énergie bas carbone dont le pays aura besoin du fait notamment de l’électrification des usages. Sans une accélération sur les renouvelables, le recours accru aux énergies fossiles va s’imposer, avec des importations coûteuses de pétrole et de gaz et un éloignement de la perspective de souveraineté énergétique que le programme du RN affirme pourtant vouloir viser.
Le passage de 20 % à 5,5 % de la TVA sur l’ensemble des énergies consommées par les ménages, appliqué sans discernement à toutes les catégories sociales, va également inciter à en consommer plus. Ce cadeau fiscal très généreux pèsera lourdement sur les finances publiques. Il est couplé à la promesse de suppression des normes « punitives » imposées par Bruxelles, en particulier celle visant à interdire les ventes de véhicules thermiques neufs à partir de 2035. Le résultat sera de consommer plus et plus longtemps de l’énergie fossile.
Au total, le rejet de toute mesure climatique comportant une contrainte, budgétaire ou réglementaire, est devenu un argument de campagne systématiquement utilisé par le RN, qui caresse son électorat dans le sens du poil en faisant croire que toute contrainte est punitive et inutile. C’est tout simplement faux et le chantier de simplification, qui vise en réalité à supprimer les réglementations environnementales, sera un désastre pour la nature, le climat et nos concitoyens, car le climat ne nous oubliera pas.
Visions « localistes »
Enfin, même si le climat leur semble un non-sujet, les représentants du RN reprennent dans les débats publics l’antienne de la responsabilité des pollueurs à l’extérieur de nos frontières : les Allemands avec les centrales à charbon, les Marocains avec les pesticides, les Chinois avec les batteries et les véhicules électriques, etc. Cela conduit à la généralisation d’une vision « localiste » dans laquelle tout ce qui est produit chez nous serait meilleur que ce qui vient de l’étranger, partenaires européens inclus. Et bien entendu, la multiplication des contraintes sur l’étranger serait, elle, totalement pertinente !
Cette vision « localiste » conduirait à la systématisation de la préférence nationale. En matière énergétique, elle implique la sortie du marché européen de l’électricité annoncée dans le programme. Dans tous les cas, elle affaiblit notre position et notre influence au sein de l’Union européenne, jusqu’à présent motrices en matière d’enjeux climatiques. A terme, elle conduira à la sortie de notre économie du marché unique européen.
Alors que plus de 80 % des Français indiquent qu’ils sont inquiets face au changement climatique, il serait utile que les débats publics mettent plus en avant la véritable sortie de route que nous annonce le programme du RN en matière de politique climatique.
Alain Grandjean, co-rédacteur de cette tribune, est président de The other economy.
***