
Cette année, la trêve estivale a été un peu plus longue que d’habitude. Le dernier article publié sur le site remonte en effet au 3 juillet. Pour cette reprise, je vous propose une fiche de lecture de l’ouvrage très stimulant d’André-Jean Guérin et André Mathis « Des forêts, des arbres et des hommes », que j’ai eu le plaisir de découvrir pendant l’été.
Pando : fiche d’identité
Curieusement, les deux auteurs utilisent la première personne du singulier pour désigner le narrateur. Ils ont imaginé écrire le livre en prenant le point de vue d’un arbre assez particulier dénommé « Pando ». Pando habite aux Etats-Unis, dans l’Utah, à proximité de Fish Lake, un lac situé dans une réserve naturelle à 2400 mètres d’altitude.
Pando est très âgé : probablement de l’ordre de 80 000 ans ! C’est bien plus que les fameux séquoias de Californie ou certains cyprès de Patagonie dont certains dépasseraient 5000 ans. La longévité de Pando ne doit rien à l’action des hommes qui ont récemment établi une réserve naturelle bien fragile pour le protéger. Elle tient à son étonnant système racinaire qui permet à l’arbre de multiplier ses troncs.
Pando est un peuplier faux-tremble (Populus tremuloides disent les scientifiques). Il s’agit d’une espèce particulière de peupliers qui se répand par drageonnage. Chaque arbre est capable de multiplier ses troncs grâce aux racines, les drageons, qui développent des bourgeons à l’origine de nouveaux troncs s’élevant depuis un système racinaire unique. Pando dispose aujourd’hui de quelques 46 000 troncs occupant 43 hectares. Pour un randonneur, il a l’apparence d’une forêt. Au plan biologique, il s’agit pourtant bien d’un arbre unique issu de la germination d’une seule graine.
La fiche d’identité de Pando, établie dès le premier chapitre, sensibilise d’emblé le lecteur à deux paramètres cruciaux pour l’évolution des peuplements forestiers : le temps long et l’occupation des sols.

Peuplements forestiers et peuplements humains
Les premiers peuplements d’arbres sont bien antérieurs à ceux des humains nous rappellent les auteurs. Les conifères apparaissent il y a 300 millions d’années et les premiers feuillus voici 56 millions d’années. Les premiers comptent aujourd’hui 500 espèces répertoriées contre 60 000 pour les feuillus.
La diversité des peuplements est maximale dans les forêts tropicales. A titre d’exemple, on dénombre 136 espèces d’arbres en France métropolitaine, mais 1700 dans le seul département de la Guyane.
Comme les autres végétaux, les arbres présentent deux singularités importantes : ils sont autonomes énergétiquement, grâce à la photosynthèse qui leur permet de fabriquer à partir de l’énergie solaire et du carbone présent dans l’atmosphère les chaines carbonées dont ils ont besoins pour leur croissance ; les individus ne se déplacent pas, mais leurs aires de peuplement le font à des rythmes très lents.
Jusque vers l’an -10 000, les peuplements forestiers s’étendent et se diversifient. Les arbres s’adaptent aux alternances de glaciations/déglaciations et résistent à des chocs affectant d’autres espèces vivantes (notamment la multiplication des mammifères herbivores consécutive à l’extinction de leurs prédateurs). Les auteurs estiment que les forêts atteignent leurs aires maximales de peuplement vers l’an -10 000.
Les premiers humains apparaissent il y a 2,5 millions d’années. Homo sapiens, notre espèce actuelle, prend le dessus il y a environ 0,5 million d’années. Elle colonise progressivement la quasi-totalité de la planète sans endommager les peuplements forestiers tant que les peuples sont des « cueilleurs chasseurs » qui tirent leurs ressources des forêts sans altérer leurs capacités reproductives.
La révolution néolithique, avec l’apparition de l’agriculture et de l’élevage, permet la sédentarisation des humains et provoque la première grande rupture : « les humains vont utiliser de plus en plus d’espace pour l’agriculture, l’élevage et leurs constructions. En grande partie au détriment de la forêt » (P.77). Le mouvement est très lent dans un premier temps et la déforestation est circonscrite à l’Europe et à la Chine.
Une deuxième révolution, celle de l’industrie, va changer la donne à partir du milieu du XIXème siècle. L’utilisation croissante des énergies fossiles permet de démultiplier les capacités de production et d’accélérer la croissance de la population dans des proportions autrefois inimaginables. Pour nourrir cette population en croissance rapide, l’agriculture intensifie ses productions à l’hectare, mais étend également les superficies mobilisées pour la culture et l’élevage. Jusque vers 1950, le grignotage des aires forestières par l’agriculture concerne surtout les pays tempérés. Depuis 1950, elle touche massivement les aires tropicales alors que les forêts tempérées et boréales gagnent en superficie.
Le cas de l’Amazonie, le premier massif tropical en superficie et en richesse biologique, fait l’objet d’un chapitre particulier. Les auteurs y rappellent opportunément que ce massif, dans sa partie brésilienne, a connu une division par quatre du rythme de sa déforestation lors des deux premiers mandats du Président Lula. Un résultat obtenu grâce à une politique volontariste freinant l’extension des élevages bovins et de la culture de soja, les deux principaux vecteurs de la déforestation. Une partie de ces résultats a cependant été perdue par la suite. Aujourd’hui, le Brésil vise la déforestation zéro d’ici 2030.

Quel avenir pour Pando ?
« Je suis en danger, mais le pire n’est pas toujours certain », nous confie Pando dans le dernier chapitre. Et d’ajouter : « ce que je redoute le plus, ce sont les canicules, les longs épisodes de sécheresse, mais aussi les tempêtes » (P.168).
Après nous avoir fait voyager dans le passé, les auteurs nous projettent dans le futur. Comme l’exprime très bien Pando, l’évolution du climat et de ses interactions avec la biodiversité y seront déterminants tant pour les peuplements forestiers que pour les peuplements humains.
La transition énergétique va accroître la pression sur la demande en bois comme substitut aux sources d’énergie fossile, comme matériau de construction à faible empreinte carbone ou encore matière de base pour la chimie biosourcée. Mais cette demande interviendra alors que le réchauffement climatique affaiblit la croissance des arbres, accroît leur risque de mortalité (incendies, maladies, parasites,…) et affecte ainsi leur capacité à stocker le carbone atmosphérique. Or, la protection du puits de carbone forestier est une composante essentielle de la marche vers la neutralité carbone requise pour stabiliser le réchauffement de la planète.
Les auteurs indiquent donc clairement qu’il faudra faire des choix délicats en hiérarchisant les priorités, car les forêts ne pourront pas répondre à tous les besoins. Ils se prononcent également en faveur d’une replantation massive d’arbres pour alléger cette pression. Ce plaidoyer, illustré par des exemples concrets tirés de l’expérience de l’ONG A tree for you est utile, mais pourrait être complété par une analyse plus poussée des conditions de réussite de ces plantations dans un climat changeant. Les exemples abondent en effet d’échecs de plantations sitôt qu’elles s’intègrent mal aux conditions locales.
L’une des conditions majeures de réussite est la participation des populations locales à ces programmes et en particulier celle des producteurs agricoles. Parmi les actions de A tree for you, on compte du reste nombre de programmes d’agroforesterie qui permettent d’accroître la résilience des systèmes agricoles face au réchauffement climatique tout en élargissant durablement les peuplements d’arbres. Ces réalisations peuvent être conduites au Nord, comme dans l’Orne avec la plantation de haies bocagères ou au Sud comme dans le programme de reboisement de bassins versants piloté par l’ONG Agrisud International dans la région de la Haute Matsiatra à Madagascar.
Autant de projets qui contribuent à ce que le « le pire ne soit pas certain » pour reprendre l’expression de Pando. Le grand mérite de l’ouvrage de Guérin et Mathis, outre la fluidité de sons style sur un sujet très complexe, est en effet d’inciter le lecteur à l’action plutôt qu’à se morfondre face à toutes les menaces qui planent sur les peuplements des arbres et des humains.
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Cher Christian,
Je suis désolé de vous avoir fait faux bond hier. Mais, d’une part mon train était quasi annulé et d’autre part je suis tombée j’avais extrêmement mal au pied et des difficultés à marcher. donne-moi une date pour que nous puissions déjeuner comme on l’a prévu. Bien amicalement. Corinne
Envoyé de mon iPhone
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