De la création du GIEC à la COP29 : brève histoire de la négociation climatique

La COP21 de 2015, qui a vu la signature de l’accord de Paris, est l’un des moments charnières dans l’histoire récente de la diplomatie climatique. UN Photo / Rick Bajorna, CC BY-NC-ND
Christian de Perthuis, Université Paris Dauphine – PSL

La COP 29 ouvre ses portes la semaine prochaine à Bakou, dans un climat international tendu et au lendemain de la réélection de Donald Trump qui a annoncé un nouveau retrait des Etats-Unis. Pour mieux comprendre les enjeux, effectuons un bref retour historique de la négociation climatique. Les avancées obtenues grâce aux COP sont loin d’avoir répondu aux urgences de l’action climatique. Mais où en serions-nous dans un monde sans COP ?


Chaque année, la COP (ou Conférence des Parties) sur le climat réunit pendant deux semaines des délégués venus du monde entier. Les représentants des États y négocient des accords climatiques, comme le protocole de Kyoto (1997) ou l’accord de Paris (2015). De multiples évènements parallèles réunissent experts, représentants de la société civile et acteurs du monde économique. À l’extérieur de l’enceinte officielle, les militants battent le pavé, avec leurs pancartes dénonçant l’inertie des dirigeants face à l’urgence climatique.

Hautement médiatisées, les COP attirent de plus en plus de monde : près de 10 000 personnes en 1997 pour adopter le protocole de Kyoto, plus de 30 000 à Paris en 2015, pas loin de 100 000, l’an passé, à la COP de Dubaï.

À quoi servent ces grands-messes annuelles ? Pour mieux comprendre, opérons un petit retour en arrière.

Aux origines de la diplomatie climatique

Si le lien entre les rejets de CO2 et le réchauffement de la planète a été établi dès 1896 par le savant suédois Svante Arrhenius, la question a ensuite été ignorée pendant près d’un siècle. La création en 1988 du GIEC, le Groupement intergouvernemental d’experts sur le climat, a totalement changé la donne.

Le premier rapport d’évaluation du GIEC paraît en 1990. Il présente les premiers scénarios climatiques qui anticipent, si rien n’est fait pour contrôler des émissions de gaz à effet de serre (GES), un réchauffement global de 4 à 5 °C à l’horizon 2100. Il recommande, sur le modèle de la convention sur la couche d’ozone, l’adoption d’une « convention cadre » et de « protocoles additionnels » pour coordonner l’action des États.

Deux ans après la publication du rapport, se tient en 1992 à Rio le « Sommet de la Terre », une conférence décennale des Nations unies sur l’environnement. Ce sommet historique débouche sur l’adoption de trois conventions internationales sur la biodiversité, la désertification et le climat.

Le sommet de la Terre à Rio en 1992. Michos Tzovaras/UN, CC BY-NC-ND

La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC, ou UNFCCC en anglais) est le traité international fondateur de la négociation climatique qui comporte trois éléments principaux :

  • Un objectif ultime : la stabilisation de la concentration atmosphérique des GES à un niveau limitant les « perturbations anthropiques dangereuses du système climatique » ;

  • Un principe de « responsabilité commune mais différenciée » face au réchauffement global qui devra guider l’action. L’annexe II de la Convention liste les pays développés (pays occidentaux et Japon) qui portent la plus lourde responsabilité ;

  • Une gouvernance multilatérale, avec un secrétariat, des organes techniques basés à Bonn en Allemagne, et un organe suprême : la « Conference of the Parties » (COP) qui doit se réunir au moins une fois par an. Dans les COP, chaque pays, quelle que soit sa taille, dispose d’une voix et les décisions se prennent au consensus.

Deux ans après la conférence de Rio, la Convention climat est ratifiée par un nombre suffisant de pays pour entrer en vigueur en mars 1994. La première COP est convoquée à Berlin un an après. Les négociations climatiques sont lancées.

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De Berlin à l’accord de Paris

Angela Merkel, alors ministre de l’Environnement de l’Allemagne, à la COP1 de Berlin, en 1994. UNFCC/X, CC BY-NC-ND

La COP1 se réunit à Berlin en mars 1995, sous la présidence d’Angela Merkel, alors ministre de l’Environnement. Elle donne un mandat de deux ans à un groupe de négociateurs pour compléter la Convention de 1992 par un texte d’application.

En décembre 1997, c’est chose faite : la COP3 adopte le protocole de Kyoto, premier texte d’application de la Convention de 1992. Ce protocole introduit des engagements contraignants pour les pays développés et les pays de l’ex-bloc soviétique, qui doivent réduire de 5 % leurs émissions de GES entre 1990 et 2008-2012.

Pour faciliter l’atteinte de cet objectif, des mécanismes de flexibilité reposant sur des échanges de quotas ou crédits carbone sont introduits, sous la pression des négociateurs américains qui y voient une façon d’alléger la contrainte pesant sur les États-Unis.

Les négociations semblent alors être bien parties. Mais pour entrer en vigueur, le Protocole de Kyoto doit être ratifié par un nombre suffisant de pays représentant un certain volume d’émissions…

Quand la diplomatie climatique se complique

En mars 2001, le Président Bush, nouvellement élu à la Maison Blanche, annonce que les États-Unis ne ratifieront pas un protocole non contraignant pour la Chine et les autres pays émergents. C’est alors que les affaires se compliquent.

Sans la signature des États-Unis, il faut en effet obtenir celle de la Russie pour atteindre le quorum permettant à Kyoto d’entrer en application. Cela donne un grand pouvoir de négociation au Président Poutine qui ne va pas se priver de l’utiliser. La Douma finit par ratifier le protocole en novembre 2004 et le protocole de Kyoto entre en application début 2005.

Mais sans la participation des États-Unis et avec l’accélération des émissions de la Chine et des autres pays émergents, il couvre désormais moins d’un tiers des émissions mondiales de GES. Il faut donc trouver les voies d’un élargissement des accords climatiques.

De 2005 à 2009, l’Union européenne préconise d’élargir le protocole de Kyoto aux pays émergents après 2012, ce qui permettrait un retour des États-Unis. Cette tentative échoue en 2009 à la COP15 de Copenhague.

À la COP15 de Copenhague, en 2009. UN Photo/Mark Garten, CC BY-NC-ND

Les grands pays émergents ne veulent pas d’un super-Kyoto, mais font une contre-proposition : un accord universel où chaque pays déposerait librement sa contribution avec un engagement de transfert financier des pays riches. Le Président Obama se rallie à ce schéma avec une promesse de transfert de 100 Mds de dollars par an des pays riches vers les pays pauvres.

En 2010, on renoue les fils de la négociation à la COP de Cancún sur ces nouvelles bases. L’année suivante, la COP17 confie un nouveau mandat à un groupe de négociateurs, de quatre ans cette fois, pour parvenir à un accord universel au plus tard en 2015. Cet accord est trouvé à la COP21 de Paris.

Les premiers pas de l’accord de Paris

Nouveau texte d’application de la convention de 1992, l’accord de Paris est adopté le 12 décembre 2015. Sa forme juridique n’est pas un protocole, mais une annexe de la décision de la COP21 pour faciliter sa ratification par les États-Unis. Comme en témoigne le nombre des chefs d’État sur la photo de famille, c’est un beau succès diplomatique.

Plus de 150 chefs d’État et de Gouvernement ont participé à la COP21 à Paris. Agência Brasil/Wikicommons, CC BY-NC-ND

En matière climatique, l’accord apporte trois nouveautés principales :

  • l’objectif de long terme est précisé : limiter le réchauffement global bien en dessous de 2 °C en visant 1,5 °C. Pour y parvenir, l’article 4 précise qu’il faut atteindre rapidement le pic des émissions pour viser la neutralité climatique avant la fin du siècle, conformément aux scénarios du 5ᵉ rapport d’évaluation du GIEC ;

  • Les objectifs de réduction des émissions de GES sont déclinés en « contributions déterminées au plan national » (NDC), déposées sur un registre des Nations unies et révisées au moins une fois tous les cinq ans à la hausse, au vu d’un bilan global.

  • Les financements climatiques au bénéfice du Sud devront être accrus et élargis à l’adaptation et aux pertes et dommages résultant du changement climatique. L’engagement de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 est repris jusqu’en 2024, mais doit être réévalué à partir de 2025.

L’accord de Paris entre en application le 4 novembre 2016, moins d’un an après la COP21, mais… quelques jours avant l’élection présidentielle américaine. Nouvellement élu, Donald Trump retire les États-Unis de l’accord de Paris en mars 2017. L’histoire serait-elle en train de se répéter ?

Pas tout à fait. Compte tenu des règles de sortie de l’accord de Paris, au moment de la décision américaine un délai de quatre ans doit être révolu pour que ce retrait devienne effectif. Le temps d’élire un nouveau président ! L’une des premières décisions de Joe Biden à la Maison Blanche a été de signer un décret, annulant celui de son prédécesseur et ramenant les États-Unis dans la maison onusienne.

À la COP26 de Glasgow, retardée d’un an pour cause de Covid-19, la quasi-totalité des pays, États-Unis inclus, ont bien déposé leur contribution nationale (NDC). L’épisode Trumpien n’a donc pas fait dérailler la mise en route de l’accord de Paris

La suite de l’histoire s’écrit à Bakou et à Belém

À la COP28 de Dubaï, le premier bilan global de l’accord de Paris a fait le constat que la pleine application des NDC permettrait dans le meilleur des cas de réduire d’environ 10 % les émissions mondiales de gaz à effet de serre entre 2019 et 2030 (zone rouge sur le graphique).

C’est un progrès relativement aux projections faites en 2015, au moment de l’adoption de l’accord de Paris (en grisé sur le graphique), mais bien insuffisant pour se mettre sur les rails des scénarios du GIEC donnant une chance sur deux de limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Pour rattraper le temps perdu, il faudra fortement réévaluer les engagements des pays en 2025. Ce sera l’enjeu central de la COP30 l’an prochain, à Belém au cœur de l’Amazonie. Une condition nécessaire pour y parvenir est de s’accorder dès la COP29 de Bakou sur un nouvel objectif collectif de financement succédant à celui de 100 Mds de dollars, atteint avec deux ans de retard en 2022.

L’objectif de 100 Mds, date d’il y a quinze ans et n’est plus en phase avec les besoins du Sud estimés dans une fourchette de 500 à 2500 Mds par an d’ici 2030 par le rapport préparatoire de l’OCDE. Sur cette base, les ONG engagées pour le climat militent pour une multiplication par dix de l’objectif des financements climatiques internationaux d’ici 2030.

Elles sont rejointes par la grande majorité des pays moins avancés qui font face à des besoins croissants au titre de l’adaptation et des pertes et dommages provoqués par le changement climatique. Les bailleurs occidentaux ne sont pas disposés à régler seuls une telle facture, alors que la Chine et les autres pays émergents rappellent qu’ils ne sont pas mentionnés dans l’Annexe 2 de la Convention de 1992 listant les responsables historiques du réchauffement climatique.

C’est donc une partie de bras de fer qui va s’engager à la COP29, à propos des financements internationaux, dans un contexte international de tensions extrêmes, peu propice à l’atteinte d’accords entre pays appartenant à des blocs opposés. La négociation climatique pourra-t-elle surmonter ces difficultés ? Réponse à Bakou fin novembre prochain.The Conversation

Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. The Conversation

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