
La concertation publique sur la stratégie énergie climat à partir des projets de Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC3) et de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE3) a été ouverte du 4 novembre au 16 décembre dernier. Une période pendant laquelle la discussion budgétaire et la censure du gouvernement Barnier accaparait tous les esprits. Dans le cadre de cette concertation, il était proposé de contribuer au débat public par la rédaction de « cahiers d’acteurs ». Je reproduis ci-dessous, ma contribution qui a rejoint les 362 cahiers déposés au total.
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Le document de mise en concertation des projets de SNBC et de PPE appelle quatre observations de ma part, associées chaque fois à une proposition d’amélioration.
1. Mieux coupler la SNBC et les objectifs climatiques du pays
Comme le rappelle le document de mise en concertation, « l’ambition de la SNBC3 a été rehaussée, en lien avec la nouvelle ambition climatique européenne » (P.13).
Le Conseil européen des 11 et 12 décembre 2020 a effectivement relevé l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de -40 à -55% entre 1990 et 2030.Cet engagement, transmis au secrétariat des Nations Unies en charge du suivi des contributions nationales à l’Accord de Paris, nous oblige. Il rendait de facto caduque la SNBC2, construite pour atteindre l’objectif de -40%.
Le gouvernement nous consulte donc aujourd’hui, sur la façon d’atteindre un objectif fixé il y a quatre ans. Depuis, le débat européen s’est porté sur l’objectif de 2040, à la suite de la communication de la Commission proposant une réduction de 90% des émissions de GES entre 1990 et 2040. Je ne vois pas mention de cette discussion, la seule qui compte aujourd’hui, sur « la nouvelle ambition climatique européenne ».
Proposition : mieux synchroniser à l’avenir les documents de planification avec la maille européenne qui conditionne la fixation des objectifs climatiques et une partie des moyens de leur mise en œuvre (en particulier le système européen des quotas de CO2). Les prochains budgets carbone de la SNBC devraient donc recouvrir, comme la PPE, les périodes 2031-2035 et 2036-2040, ce qui clarifierait les débats et consultations qu’il convient d’engager dès maintenant pour être en phase avec l’échelon européen.
2. Sommes-nous en ligne avec l’objectif ?
« La France est en ligne avec son nouvel objectif climatique » peut-on lire dans ce même document de consultation (P.12). La raison invoquée est le doublement du rythme de baisse observé l’année 2023 (-5,8% contre -2,7% entre 2018 et 2022).
L’argument est un peu court. Il ne porte que sur une année et ne considère que les émissions brutes sans considérer l’évolution du puits de carbone national.
Concernant les émissions brutes, une évolution annuelle ne permet pas de juger des changements de tendance à moyen terme. Pour l’année 2023, nous renvoyons à l’analyse effectuée à partir de la première évaluation du CITEPA. Elle montre que le résultat de 2023 repose en partie sur des facteurs conjoncturels non reproductibles à moyen terme.
Proposition : pour juger du lien entre l’évolution des émissions brutes et les objectifs climatiques, il conviendrait de s’accorder sur la tendance historique. La seule qui soit économétriquement significative est la période démarrant en 2005 (voir graphique ci-dessous). Il serait du reste judicieux de se référer à l’année 2005 pour fixer les objectifs climatiques nationaux comme on le fait au niveau européen pour le système des quotas et la répartition des objectifs entre Etats membres pour la partie non couverte par les quotas.

3. La protection du puits de carbone national
Bien que la révision à la baisse du puits de carbone national, de l’ordre de 30 millions de tonnes de CO2, apparaisse à la lecture du graphique de la P.16 du document de mise en concertation, le texte ne comporte aucun commentaire sur cet indicateur.
La baisse du puits de carbone forestier national (graphique ci-dessous), non anticipée, est pourtant la tendance des dernières années la plus inquiétante nous éloignant de la perspective de neutralité à l’horizon 2050. Ceci est d’autant plus préoccupant que la PPE repose par ailleurs sur un accroissement de l’usage énergétique de la biomasse, sans étude d’impact sur la capacité de stockage des forêts et des sols.
La baisse du puits de carbone forestier (graphique) ne provient pas d’une moindre croissance de la surface des forêts. Elle s’explique par une rétroaction climatique, le réchauffement freinant la croissance des arbres, et, partant, leur capacité de stockage du CO2. Le réchauffement provoque simultanément un durcissement des conditions de production agricole (stagnation et irrégularité des rendements à l’HA en particulier). Dans les deux cas, les réponses doivent donc combiner l’atténuation et l’adaptation.
Proposition : intégrer, tant dans la SNBC que dans la PPE, un volet nouveau concernant l’agriculture, la forêt et toutes les activités impactant le cycle du « carbone vivant ». Pour le carbone vivant, les enjeux d’adaptation et d’atténuation sont intrinsèquement liés. Dans cette optique, les bénéfices à moyen et long terme de la protection des stocks de carbone présents dans les arbres et les sols agricoles doivent être mis en regard de ceux générés à court terme par l’usage énergétique, voire alimentaire, de la biomasse.

4. Poser correctement le débat sur le nucléaire
Le document de mise en concertation comporte peu d’informations sur les critères justifiant ce qui est qualifié de « relance du nucléaire » (P.18).
Les chiffres mentionnés dans le tableau de cette page 18 donnent les objectifs de production d’électricité d’origine nucléaire en 2030 et 2035, visés à partir de l’utilisation du parc existant (EPR de Flamanville inclus). Ils concernent donc la relance du nucléaire existant, notamment par la prolongation de l’utilisation des réacteurs obtenue grâce au programme d’investissement dit de « grand carénage » déjà lancé par Edf.
Le programme de lancement des EPR2, mentionné en P.8 en première position pour « décarboner notre mixe énergétique » ne fait l’objet d’aucun développement particulier. Par ailleurs, il n’est pas fait mention d’objectifs en matière de petits réacteurs modulaires (SMR).
Pour mieux appréhender cette relance du nucléaire, je me suis reporté au document, plus détaillé, intitulé «dossier du maître d’ouvrage», sans trouver beaucoup plus d’information. Cette parcimonie des informations est d’autant plus incompréhensible que la PPE3 marque un virage à 180° relativement aux orientations des PPE antérieures. Elle ne permet pas de juger si ce virage est souhaitable, réaliste, inquiétant.
Proposition : organiser avant toute décision engageant le nouveau nucléaire un débat explicitant les hypothèses économiques sous-jacentes. En particulier, compte tenu de la baisse des coûts des énergies de flux (solaire et éolien) et du stockage de l’électricité, le coût complet du KWh d’origine nucléaire a-t-il quelque chance d’être compétitif après 2040 face à celui issu des énergies solaires et éoliennes ? Par ailleurs, Un volet particulier, concernant le contrôle des matières fissiles en cas de déploiement des réacteurs de type SMR devrait précéder toute décision d’investissement à grande échelle. Le lecteur intéressé trouvera plus de détail sur ces propositions dans un article publié en début d’année dans The Conversation.
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Un avis sur « Quelle stratégie énergie climat ? Une contribution au débat »