
D’après la première estimation du CITEPA, les émissions brutes de gaz à effet de serre ont reculé de 1,8% en 2024. Ce résultat se situe dans la droite ligne de la réduction tendancielle de nos émissions observée depuis 2005 (-2% par an). Cette trajectoire ne nous conduit pas en 2030 vers l’objectif de -55%, adopté fin 2020. Alors que s’amplifie une douce musique en faveur d’un relâchement de nos efforts, il faut au contraire accélérer.
2024 : qui a réduit quoi ?
En 2024, deux circonstances ont été favorables à la baisse des émissions. La meilleure utilisation du parc nucléaire et le remplissage des barrages fournissant l’hydroélectricité, à l’origine de la baisse de 4,1 Mt de CO2eq du secteur de l’énergie; la clémence des températures qui a réduit les besoins de chauffage.
Pourtant, le rythme de baisse des émissions s’est nettement ralenti relativement à 2023 (-1,8% après -5,8%), pour trois raisons principales :
- La résistance des émissions du secteur du transport, même si on exclut les transports internationaux qui sont dopés par la reprise des trafics aériens ;
- La demande trop rapide d’énergie fossile, favorisée en 2024 par la modération de leur prix et la faiblesse des incitations à la sobriété qui peine à trouver ses modèles économiques ;
- Les délais de mise en route du programme de décarbonation de l’industrie qui se traduisent par une reprise des émissions sitôt que la production d’un secteur augmente (cas de la production des métaux non ferreux en 2024).
Comme les gisements de réduction d’émissions les plus faciles à atteindre ont déjà été utilisés, il est à craindre que le résultat décevant de 2024 ne se prolonge en l’absence d’une accélération des politiques de décarbonation.

2026/2030 : accélérer et non pas rétrograder
Depuis 2005, nos émissions brutes (hors impact des puits de carbone) suivent une tendance baissière de 2% l’an (soit -9Mt par an). La poursuite de cette tendance nous dirige vers des émissions de 320-330 Mt de CO2eq en 2030, alors qu’il faut viser 270 Mt pour respecter nos engagements climatiques. Pour atteindre cet objectif, il faudrait porter le rythme annuel de baisse à 5 % sur les six années qui nous séparent de 2030.
Cela implique de sortir une feuille de route qui pose clairement trois jalons pour la construction du système énergétique bas carbone de demain :
- Une indispensable sobriété dans les usages qui ne peut résulter d’incantations épisodiques appelant à des gestes citoyens dans les situations de crises mais exige des incitations ciblées et l’invention de nouveaux modèles économiques de la sobriété ;
- L’accélération du retrait des énergies fossiles (le « désinvestissement ») qui passe par l’électrification rapide des usages dans les transports, l’industrie et le chauffage des bâtiments ;
- Le renforcement du déploiement des énergies utilisant les flux solaires et éoliens qui sont les seules à pouvoir fournir en abondance l’électricité décarbonée dont le pays aura besoin d’ici 2040, et ceci quelle que soit la place du nucléaire qu’on souhaite atteindre dans le mix énergétique post-2040.
Face à la hauteur de la marche d’escalier à franchir, une partie de la classe politique a entonné une dangereuse musique en faveur d’une révision à la baisse des objectifs climatiques. Cette musique s’amplifie à la suite de la sortie de route de la nouvelle administration américaine en matière climatique.
Cette musique euphorisante est aussi dangereuse en matière climatique que face au risque d’abandon de l’Ukraine devant la menace impérialiste russe. Ces sont du reste les mêmes forces politiques qui jouent la partition. Dans les deux cas, l’Europe doit au contraire se ressaisir face à la menace et mobiliser tous les moyens requis pour accélérer sa décarbonation. Pour le premier importateur mondial d’énergie fossile, substituer du solaire et de l’éolien au pétrole et au gaz est aussi un facteur de souveraineté.

******************************************
Bonjour Christian
Merci pour ces informations et pour tes commentaires experts sur ces sujets dâimportance majeure mais bien mal compris par ceux qui dirigent le pays et lâéconomie.
Je me rends lundi à Marseille pour le colloque de Climate Chance sur lâAfrique.
Que pèsent les efforts de notre pays et aussi de lâEurope pour réduire leurs émissions de GES alors que lâAfrique va doubler sa population dâici 2050 (et atteindre 2 milliards) et que lâInde a déjà dépassé la Chine avec un taux de natalité de lâordre de 2,5 ?
Les économies « avancées » ne devraient-elles pas déployer leurs efforts vers ces contrées pour les accompagner dans lâadoption de modèles énergétiques bas carbone ou verts ?
A supposer que lâon poursuive dans la ligne actuelle, en 2050 lâEurope sera plus ou moins dans les clous, mais lâAfrique et la majorité des autres régions du monde seront bien à côté⦠ainsi que les perspectives dâune performance mondiale acceptable.
Comment vois-tu le sujet ?
Par ailleurs, saurais-tu si le jumeau numérique de notre pays dont lâIGN a la charge, permettra ou non des simulations en termes de GES selon les différents scénarios types (Ademe et autres) ?
A bientôt le plaisir de te revoir
bien amicalement
Jacques 06 07 15 85 07
J’aimeJ’aime
Cher Christian Cela fait quelques années que nous ne sommes vus…
Toujours actif dans les domaines de la gouvernance, je me suis aussi passionné sur les sujets de mix énergétique et de modification des comportements en matière de consommation d’énergie, en particulier d’électricité.
L’un des points qui m’a frappé est la difficulté d’avoir une vision commune sur l’évolution de la consommation électrique, les écarts entre RTE et d’autres sources très crédibles sont considérables à horizon 10/15 ans. La très faible croissance, désindustrialisation, sobriété des consommateurs (particuliers et entreprises_ pour lesquelles réduire la consommation est une obsession) etc…ont fait baisser la consommation d’électricité qui est aujourd’hui inférieure à celle d’il y a 10 ans malgré la (faible) croissance et l’augmentation de la population.
Croire que la consommation d’électricité va augmenter significativement au cours de 10 prochaines années est un leurre : pour cela il faudrait de la croissance, un transfert massif des comportements de consommation d’énergies fossiles vers l’électricité ; ni pour l’une ni pour l’autre, il est difficile d’être optimiste pour pour les prochaines années. Deux exemples – il y a près de 40 millions de véhicules en France dont l’âge moyen est supérieur à 11 ans. Les véhicules électriques (yc compris hybrides) représentent 4% du parc. Pas besoin d’être un grand mathématicien pour estimer le temps nécessaire à une électrification (yc hybride), même de la moitié du parc automobile : 15 à 25 ans… – la construction de logements neufs, beaucoup moins énergivores, est au plus bas depuis des décennies et nul ne sait comment faire pour redémarrer la construction du fait du foncier et du coût des matériaux.
Il faut reprendre la PPE3 avec des bases plus réalistes. Au lieu d’investir des centaines de milliards € dans les ENRi, il serait plus utile d’en flécher une partie très significative, beaucoup plus qu’aujourd’hui, sur les passoires thermiques (et pas avec un décret d’application de 642 pages…). Les effets en matière d’emploi local, de réduction de la consommation d’énergie (fossile ou électrique), les gains de pouvoir d’achat sont évidents. Alors pourquoi tant de frilosité à accélérer ; il faut faire confiance, tous les français ne sont pas des tricheurs ; quelques mécanismes simples permettront de relancer la croissance et l’emploi.
J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir bientôt et d’échanger sur ces sujets passionnants
Toutes mes amitiés Emmanuel du Boullay +33 613 544 907
J’aimeJ’aime
Bonjour, qu’entend on par « exige des incitations ciblées »? C’est une formulation dont le caractère vague me fait peur en ce qu’elle représente potentiellement une forme de contraintes, voire de privation de liberté vis-à-vis de catégories de population. Merci pour votre éclairage (d’accord sur les 2 autres bulletpoint des solutions). Cordialement
J’aimeJ’aime