Quand l’agence environnementale américaine change ses méthodes de calcul

Parmi les 26 décrets présidentiels signés par Donald Trump le premier jour de son mandat, figurait celui visant à « libérer » l’énergie américaine (Unleashing American Energy). La libérer de quoi ? Du carcan des « régulations idéologiques » privant les citoyens d’un accès à une énergie abondante, accessible à bas coût et produite à partir des ressources locales dont a été « béni » (blessed) le pays (entendez par là les énergies fossiles).

Ce décret contenait un développement assez inattendu sur la nécessité de supprimer l’utilisation du « coût social du carbone », l’instrument mesurant les coûts des dommages climatiques aux Etats-Unis, dans les choix d’investissement public.

L’agence environnementale américaine (EPA) vient d’obtempérer. Cela lui permet de justifier au plan économique son projet publié la semaine passé d’abrogation des régulations introduites lors du mandat de Joe Biden pour limiter les émissions du secteur électrique : le Clean Power Plan 2.0 pour les gaz à effet de serre et le Mercury and Air Toxics Standards ou MAT, pour les rejets de mercure et d’autres polluants locaux. Que faut-il attendre de ce nouveau tête à queue de la politique climatique américaine ?

Les enjeux de la décarbonation du secteur électrique

Entre 2005 et 2024, les Etats-Unis ont réduit leurs émissions de CO2 d’origine énergétique de 21%. Pour l’essentiel, ce résultat a été obtenu grâce à la réduction de 41% des émissions du secteur électrique. A l’origine de 40 % des émissions totales de CO2 en 2005, la génération d’électricité n’en représente plus que 30% en 2024. Depuis le milieu des années 2010, le secteur des transports est devenu la première source d’émission de carbone fossile.

Pour autant, la décarbonation du secteur est loin d’être achevée. En 2024, les émissions du secteur électrique américain ont atteint 1,4 Gt de CO2. Cela représente 60 % du total des émissions de CO2 de l’Union européenne ou encore 5 fois la totalité de celles de la France.

La baisse des émissions du secteur électrique reflète une triple évolution :

  • le recul, ininterrompu sur la période, des émissions provenant de l’utilisation du charbon résultant du non remplacement des centrales thermiques déclassées par d’autres centrales à charbon ;
  • la substitution d’une partie du parc de centrales à charbon par des centrales à gaz à haut rendement énergétique, émettant de 2 à 2,5 fois moins de CO2 par MWh produit que les anciennes centrales à charbon ;
  • La montée en régime de l’électricité produite à partir des sources éoliennes et solaires dont la production dépasse pour la première fois celle issue du charbon en 2024.

Quels impacts ?

Une première incertitude concerne la façon dont le projet de l’EPA va pouvoir s’appliquer. Il faut en effet s’attendre à de nombreux recours juridiques et à l’opposition de la majorité des Etats côtiers à majorité démocrate, où la décarbonation du secteur électrique est également stimulée par des régulations locales, comme la tarification carbone, qui s’additionnent aux incitations fédérales.

Les dernières projections à l’horizon 2030 du Département de l’énergie ont été publiées en avril dernier. Elles prenaient comme hypothèse le maintien des régulations encore en vigueur, et donc des crédits d’impôts au profit des énergies renouvelables. En tenant compte de ces crédits, l’avantage compétitif du vent et du photovoltaïque face au gaz était sans appel. Le Département de l’énergie anticipait que plus de 90 % des accroissements de capacité d’ici 2030 allaient provenir du photovoltaïque et de l’éolien, le reste étant dévolu aux centrales à gaz à cycles combinés (graphique ci-dessous).

Si l’EPA parvient à ses fins, ce schéma sera modifié de trois façons :

  • La suppression des crédits d’impôt réduira l’avantage compétitif du photovoltaïque et de l’éolien, sans totalement l’inverser. Dans son analyse, le Département de l’énergie note en effet que le coût du KWh généré par le photovoltaïque est passé en dessous de celui provenant de centrale à gaz dans la majorité des Etats, même quand on supprime les crédits d’impôt ;
  • L’élimination ou l’assouplissement des régulations sur les polluants locaux est susceptible de retarder le déclassement des centrales à charbon les plus anciennes qui, largement amorties, continuent d’être rentables quand on n’impute pas les coûts sanitaires induits. Elles ne sont gère susceptibles de relancer la construction de centrales neuves ;
  • En revanche, les centrales à gaz vont bénéficier d’un regain relatif de compétitivité, à prix du gaz inchangé, et pourraient voir se prolonger leur dynamique de croissance qui n’a au demeurant guère été affectée par les régulations précédemment introduites par l’administration démocrate.

Au total, la nouvelle alliance de l’EPA et de l’industrie des fossiles risque de sérieusement ralentir la transition américaine vers un système électrique décarboné, ce qui est une bien mauvaise nouvelle pour le climat. Elle ne nous paraît cependant pas susceptible d’inverser le mouvement, compte tenu des réalités économiques qui jouent en faveur du solaire et de l’éolien.

De la bonne utilisation du calcul économique

Dans son document de présentation, l’EPA justifie ses propositions par des arguments économiques. D’après ses calculs, l’abandon du Clean Power Plan 2.0 permettrait de réduire de 1,2 Md de dollars par an les coûts de mise en conformité du secteur électrique à partir de 2026. Cette réduction est présentée comme un bénéfice social qui se diffuserait à l’ensemble de l’économie via ses effets dynamisant sur le prix de l’énergie, le marché du travail et l’amélioration de la balance commerciale.

Et les coûts climatiques ? Conformément au décret présidentiel, Unleashing American Energy, qui proscrit l’utilisation de la valeur sociale du carbone dans le calcul économique utilisé pour les choix d’investissement public, il est tout simplement passé sous silence par l’EPA. Un comble pour une agence environnementale !

Réparons cette omission. D’après l’EPA, ses propositions devraient accroître de 50 Mt en 2030 et de 123 MT en 2035 les émissions de CO2 du secteur électrique, relativement au scénario de référence. En appliquant la dernière estimation du coût social du carbone réalisée par l’EPA en 2023 (tableau ci-dessous), cela correspondrait, avec un taux d’actualisation de 2,5 %, à des coûts climatiques additionnels de 7 et 20 milliards de dollars en 2030 et 2035. A comparer aux 1,2 Mrd économisés chaque année pour la mise en conformité du secteur électrique. Si l’EPA n’avait pas changé les méthodes d’évaluation sous l’injonction d’un décret présidentiel, le calcul économique indiquerait clairement combien il serait avantageux de maintenir les régulations permettant d’accélérer la décarbonation du secteur électrique…

Source : EPA, novembre 2023

******************************************

  • Lire le communiqué et les propositions de l’EPA : ICI
  • Consulter le décret Unleashing American Energy : ICI
  • Document de l’EPA sur le coût social du carbone : ICI
  • Retour à L’ACCUEIL

Laisser un commentaire