Climat, biodiversité, désertification : l’interdépendance des enjeux

Note téléchargée sur le site de Futurible le 19 juin 2025

Le monde de 2050, plus encore celui de 2100, dépendra de ce que nous ferons dans les toutes prochaines décennies en matière d’action climatique — le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) nous le rappelle d’un rapport à l’autre. Il dépendra aussi de la façon dont nous prendrons en charge d’autres dérèglements globaux comme l’érosion de la biodiversité, la dégradation des sols, la perturbation du cycle de l’azote

Tous ces dérèglements interagissent les uns avec les autres. Ils sont pourtant discutés dans des processus distincts de négociation dans le cadre des Nations unies. Ainsi, trois COP (conférences des parties) portant respectivement sur le climat, la biodiversité et la désertification se sont tenues fin 2024 à quelques semaines d’intervalle à Bakou, Cali et Riadh.

Cette organisation en silo de trois processus de négociation onusiens qui ne communiquent pas suffisamment entre eux est en décalage croissant avec les actions conduites à l’échelle microéconomique pour contrer les menaces environnementales planétaires. C’est particulièrement vrai concernant l’agriculture, comme l’illustre notre rapide visite guidée en Afrique de l’Ouest.

Forêt du Haut-Sassandra : biodiversité, puits de carbone, résilience climatique

Démarrons de Côte-d’Ivoire, à 400 kilomètres d’Abidjan, dans la forêt classée du Haut-Sassandra. Bien que théoriquement protégé par la réglementation, ce massif est devenu un véritable gruyère. Des peuplements d’arbres qui composaient l’une des forêts primaires les plus riches du pays, il ne subsiste aujourd’hui qu’environ 5 % des individus.

Sur la quasi-totalité des surfaces, on produit désormais le cacao, premier produit d’exportation ivoirien. La forêt n’a pas été remplacée par de vastes plantations de rapport mais a été mitée par une constellation de microexploitations tenues par des familles contraintes de pratiquer cette culture de rente pour assurer leur propre subsistance. La forme classique des politiques de conservation par restriction des accès ne fonctionne pas sans une action sur les causes agricoles de la déforestation.

C’est l’une des grandes leçons de l’expérience du Brésil, parvenu à la fin de la décennie 2000 à diviser par quatre le rythme de sa déforestation en contrôlant les défrichements provoqués par l’élevage bovin et la culture du soja. En Côte-d’Ivoire, la lutte contre la déforestation passe également par une action sur ses causes agricoles, à commencer par l’extension inconsidérée des plantations de cacao.

Plans de cacaoyers au pied d’arbres natifs en voie de disparition

Dans le Haut-Sassandra, le gouvernement ivoirien mise également sur l’agroforesterie pour reconquérir une partie du massif forestier perdu. Dans le cadre de la concession attribuée à l’entreprise ivoirienne Agromap et à la française aDryada, deux opérateurs spécialisés, il vise un retour progressif des peuplements initiaux d’arbres et d’espèces natives dans 70 000 hectares de forêt rénovée. Un double bénéfice environnemental est visé : la restauration d’une partie du capital de biodiversité perdu de la forêt et une régénération de sa capacité à retirer du carbone de l’atmosphère.

Pour y parvenir, il faut assurer la reconversion des producteurs de cacao occupant la forêt. Dans un premier temps, ces producteurs bénéficieront de revenus pour leur participation aux programmes de replantation, en partie financés par des crédits carbone. La phase la plus délicate du projet sera leur abandon graduel des cacaoyers, au profit d’activités agricoles à base d’agroforesterie et de techniques culturales régénératrices, pratiquées sur une zone tampon de 30 000 hectares protégeant la forêt centrale. Cette reconversion permettra aux familles agricoles d’améliorer leurs conditions d’existence et surtout de renforcer leur résilience en adaptant leurs systèmes de production au durcissement des conditions climatiques.

Les bénéfices multiples de la restauration des mangroves

Remontons au nord et obliquons vers l’océan. Nous arrivons au Sénégal, dans le delta du fleuve Casamance. Dans les deltas, la hausse du niveau de la mer et l’intensification des événements extrêmes menacent les activités agricoles et les conditions de vie de la population.

Quand on parle d’adaptation face à l’élévation du niveau de la mer, l’image de digues artificielles pour freiner le mouvement s’impose assez spontanément. De tels ouvrages sont très coûteux et généralement peu ou pas adaptés à la défense des territoires ruraux. Le réinvestissement dans des infrastructures naturelles comme les mangroves est une stratégie bien plus pertinente.

En Casamance, on estime qu’un quart des mangroves ont disparu entre 1970 et 2010, du fait d’interventions anthropiques comme le prélèvement de bois, la mise en pâturage ou en culture d’aires déforestées, ou de la construction de routes, le tout aggravé par des épisodes de sécheresse. Ces pertes accélèrent la salinisation des sols qui deviennent impropres à l’agriculture, raréfient les ressources halieutiques et aggravent la précarité des conditions des populations locales. Depuis 2008, l’organisation non gouvernementale sénégalaise Oceanium lutte pour inverser cette tendance.

Des palétuviers plantés par millions

Grâce à la mobilisation de 180 villages, 80 millions de palétuviers ont été plantés sur 10 000 hectares. Cette restauration d’une barrière végétale tampon entre les eaux douces du fleuve et les eaux saumâtres poussées par les marées renforce la résilience des systèmes agricole et alimentaire locaux. Derrière la barrière végétale, des cultures comme le riz de mangrove peuvent être déployées sur des terres auparavant menacées. Les plantations enrichissent également le milieu marin, ce qui favorise la relance des activités de pêche artisanale ou communautaire.

À ces bénéfices locaux s’ajoute un retour climatique conséquent car une mangrove stocke beaucoup de carbone à l’hectare : au stockage dans les arbres s’ajoute celui des sols, très élevé dans ce type de milieu. Sur 20 ans, le programme de restauration de la mangrove pourrait ainsi absorber de l’ordre de 500 milliers de tonnes de CO2. Comme pour le massif du Haut-Sassandra, l’investissement en faveur de la biodiversité bénéficie au climat (et réciproquement).

Aux confins du Sahara : agriculteurs et éleveurs en première ligne face à la désertification

Au Sénégal, ces projets concernent d’abord le nord du pays, la zone la plus aride. Dans le Ferlo qui jouxte la Mauritanie, les leviers d’action sont le changement des pratiques pastorales, la reconstitution de couverts végétaux pérennes (coupe-vent, arbres endémiques…), le partage des faibles ressources en eau entre les besoins du cheptel et ceux de la culture.

En reprenant notre route vers le nord, nous traversons les zones semi-arides du centre du Sénégal pour atteindre la région du Ferlo, aux confins du Sahara. Un tiers de la population mondiale vit dans des zones arides ou semi-arides où les changements climatiques aggravent la dégradation des sols et la précarité des conditions d’existence. Pour faire face, les projets de plantations massives d’arbres ont tous échoué. La bonne méthode consiste à s’appuyer sur les producteurs agricoles. Le programme sahélien de la « grande muraille verte », conduit sous l’égide des Nations unies, s’est ainsi transformé en une mosaïque de petits projets d’agroécologie, la réelle ossature de la muraille.

Freiner l’avancée du désert

La restauration des sols ne concerne pas que les zones mitoyennes du Sahara. Dans le bassin arachidier du centre du Sénégal, des décennies de monoculture ont appauvri les sols. Leur restauration exige de basculer vers des systèmes diversifiés, en particulier du maraîchage et de l’agroforesterie, valorisant les écosystèmes locaux et accroissant les ressources des communautés locales.

Pratiquée à grande échelle, la lutte contre la désertification pourrait engendrer des bénéfices climatiques élevés. En remettant de la vie et de la matière organique dans les sols, on accroît leur capacité de rétention d’eau, mais aussi celle de stockage du carbone. Compte tenu de l’immensité des surfaces arides à restaurer, c’est un gisement conséquent de séquestration de carbone dans le monde.

Aussi, les éleveurs du Ferlo ou les micro-exploitations maraîchères du bassin arachidier engagés dans la restauration de leurs sols ne se mobilisent pas seulement pour leurs conditions d’existence. Ils contribuent également à la lutte contre les dérèglements climatiques et l’érosion de la biodiversité.

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