
En 2024, la faim a légèrement reculé dans le monde pour la deuxième année consécutive, d’après la dernière évaluation de la FAO. Cependant, elle affecte encore nettement plus de personnes que 10 ans auparavant.
La prévalence de l’obésité continue simultanément de progresser. Elle touche désormais les pays à faible revenu où elle coexiste avec la sous-alimentation chronique.
La prolongation de ces tendances ne permettra pas d’atteindre les cibles de sécurité alimentaires visées en 2030 dans le cadre des objectifs de développement durable des Nations-Unies. Pour y parvenir, nous avons identifié quatre leviers d’action.
Trois régions du monde où la faim s’aggrave
En premier lieu, on ne parviendra pas à éradiquer la faim si des régions entières sont laissées au bord de la route. En 2021, la sous-nutrition a affecté environ 700 millions de personnes dans le monde, sous le double choc du COVID et du renchérissement des denrées de base qui ont fortement détérioré la situation.
Depuis 2021, le recul de la faim n’a concerné que 25 millions de personnes, une amélioration toute relative. Si la situation s’est effectivement amélioré dans la majeure partie de l’Asie et en Amérique Latine, elle a continué de se dégrader dans trois régions.
En Afrique, le nombre de personnes en situation de sous-nutrition a augmenté de près de 40 millions. En Asie de l’ouest (zone se recoupant avec ce que nous appelons le « Proche-Orient ») et dans les Caraïbes, la sous-nutrition a également continué de progresser depuis le pic de 2021. C’est également dans ces zones qu’on rencontre des situations de famines aiguës sous l’effet de conflits armés (Soudan, Gaza, Haïti,…).

Pour se remettre sur les voies de l’objectif d’éradication de la sous-nutrition, il faut en premier lieu que ces régions retrouvent les chemins du progrès, comme ils en avaient connus avant 2015, quand la faim a reculé à peu près partout dans le monde.
Agir sur les gaspillages et les modèles alimentaires
Si une partie de la population mondiale est affectée par la faim, ce n’est pas parce que la nourriture manque. C’est parce qu’elle est mal distribuée et en partie gaspillée. Les pertes à la sortie des champs faute d’infrastructures de stockage, ou à la sortie de l’assiette du consommateur, sont les formes les plus visibles de gaspillages, qu’il faut tenter de réduire au minimum.
Un autre gaspillage est la surconsommation de produits transformés, trop riches en sucres et en graisses, et de produits d’origine animale qui sont l’une des causes d’une nouvelle forme d’insécurité alimentaire : l’obésité, avec toutes ses conséquences néfastes sur la santé. Réduire ces consommations, notamment celles de produits animaux particulièrement élevées dans les pays à revenus élevés, apporterait des bénéfices sanitaires pour ceux qui consomment trop. Simultanément, cela libérerait des superficies fourragères dont une partie pourrait être réutilisées pour des approvisionnements directs en biens alimentaires.
Autre bénéfice de cette « végétalisation » des rations alimentaires : elles sont moins coûteuses pour le consommateur et donc plus largement accessibles au plus grand nombre.
L’inflation alimentaire et les barrières économiques
Parmi les barrières qui limitent l’accès aux ressources alimentaires, le prix excessif des denrées joue un rôle primordial pour toutes les familles qui ne disposent pas d’un revenu minimal régulier. C’est vrai dans les villes où les ménages ne produisent généralement pas de denrées agricoles, mais également dans les campagnes où la majorité des familles agricoles sont acheteuses nettes de biens alimentaires.
Or la remontée de l’inflation depuis la fin des années 2010 a été nettement plus forte pour les biens alimentaires que pour l’ensemble des prix. Début janvier 2025, la FAO estime ainsi que le panier représentatif des consommations alimentaires s’est renchéri de plus de 35% relativement à 2019, pour une inflation globale de 25%.

Fait aggravant, cette inflation alimentaire a été pratiquement deux fois plus rapide que la moyenne mondiale dans les pays les plus pauvres où elle a culminé à 30 % en glissement annuel pour la seule année2022. Dans les pays à bas revenu, majoritairement situées en Afrique au sud du Sahara, cette inflation a été une cause majeure de poursuite de la dégradation de la situation alimentaire.
Pour lutter efficacement contre la faim dans ces pays, il faut donc coupler le développement des systèmes de production vivriers, essentiellement assurés par des petits producteurs, avec l’organisation de filières à l’aval pour lutter contre la spéculation et l’instabilité des prix afin d’assurer des approvisionnements locaux réguliers.
Coupler lutte contre la faim et action climatique
Parmi les facteurs d’instabilité des prix, il y a traditionnellement l’absence d’organisation des marchés qui favorise le jeu des spéculateurs. Il faut également prendre en compte l’impact croissant du réchauffement climatique qui durcit les conditions de production agricole.
Cela touche une gamme croissante de produits. Certains produits tropicaux, comme le cacao en Afrique de l’ouest, ont été particulièrement affectés par l’augmentation du nombre de jours de température excessive. L’offre des denrées de base est également vulnérable, à l’instar de la production de blé canadienne, lourdement impactée par les pics de chaleur exceptionnels qui ont fait reculer la production de 40% durant la campagne 2021/2022. Autant que la guerre en Ukraine, cela a aggravé la pression sur les prix mondiaux de cette céréale cruciale pour les approvisionnements alimentaires.
Pour accroître la sécurité alimentaire et faire reculer la faim, il faut donc investir dans la résilience des systèmes agricoles face au réchauffement climatique. Cela passe le plus souvent par des techniques agroécologiques basées sur la diversité du vivant plus résistantes aux changements climatiques que les systèmes de monoculture d’inspiration industrielle. Ces méthodes sont également celles qui permettent de produire de façon intensive à l’hectare en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Outre les gains en matière de sécurité alimentaire, ces méthodes apportent ainsi un double bénéfice (adaptation et atténuation) sous l’angle climatique.
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