L’écologie au risque de la disette budgétaire : le cas du transport maritime

Tribune parue le 30 septembre 2025

L’écologie a été l’une des grandes victimes de l’instabilité politique. Les trois derniers gouvernements se sont illustrés par leur procrastination : aucun n’a été en mesure de faire adopter les feuilles de route énergétique et climatique, pourtant promises pour l’été 2023. Celui de François Bayrou a acté plusieurs rétropédalages, notamment sur l’usage des pesticides (avec la Loi Duplomb), les zones à faible émission et l’objectif de zéro artificialisation nette.

Dans un contexte où la baisse des émissions de gaz à effet de serre a marqué le pas en début d’année, les « ruptures » annoncées par Sébastien Lecornu vont-elles inclure l’écologie et le climat ? Premier test d’un possible réarmement écologique : la préparation de la Loi de finances, après deux années où la « dette écologique » a été sacrifiée à l’autel de la rigueur budgétaire.

Les enjeux industriels de la décarbonation du transport maritime

A l’origine d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre, le secteur des transports sera en première ligne. Dans le débat public, il est beaucoup question d’automobile et d’aviation. Nettement moins de transport maritime. Examinons de plus près ce secteur. Sa décarbonation est un enjeu aussi crucial pour le climat que celle de l’aviation, avec de fortes implications industrielles pour notre pays.

Les grands armateurs qui cartellisent le fret maritime privilégient la voie des carburants alternatifs aux énergies fossiles. Cela permettrait de décarboner le secteur en modifiant la propulsion des navires, sans rien changer au jeu concurrentiel basé sur la course au gigantisme et l’écrasement du coût du fret sur les lignes transcontinentales.

Energie gratuite et renouvelable, le vent n’a pas besoin d’être produit comme les coûteux carburants alternatifs. D’où l’émergence de nouveaux acteurs de la propulsion vélique, comme les néo armateurs TWOT, Grain de Sail ou Néoline, dont les stratégies reposent sur une myriade d’innovations.

Au plan technique, de nombreuses avancées sont issues du monde de la compétition et des progrès de la science du routage qui optimise les routes au gré des caprices des vents. Le couplage du vent à une source décarbonée pour le moteur auxiliaire ouvre la voie d’une navigation zéro émission.

Les cargos à voile ne visent pas la vitesse, mais la ponctualité. La vitesse de croisière en propulsion vélique principale est moitié moindre que celle des géants actuels des mers. La taille des navires permet cependant d’utiliser des ports plus proches des destinations finales. Ces trajets « point à point » réduisent les temps d’attente devant les ports, le nombre des transbordements nécessaires ainsi que l’empreinte carbone totale des opérations de fret.

L’industrialisation du transport vélique génère enfin nombre d’innovations socioéconomiques. Activité hautement capitalistique – le vent est gratuit mais les investissements pour le capter sont élevés – le transport vélique exige des apports élevés en capital facilités par le recours aux financements participatifs et l’engagement citoyen. Enfin, l’usage de la voile est attractif. Cela facilite le recrutement d’équipages qualifiés et séduit des croisiéristes d’un nouveau type.

La propulsion vélique est parfois présentée comme un retour au passé. Activité naissante dans laquelle la France est bien positionnée avec ses 14 équipementiers et la première flotte de cargos à voile au monde, son déploiement pourrait au contraire préfigurer le transport maritime de demain. Mais pour cela, cette activité émergente doit franchir un chemin semé d’embuches baptisé « vallée de la mort » par les économistes : celui menant de l’innovation visionnaire à l’échelle industrielle.

Sécuriser les soutiens dans la Loi de finance

Pour traverser la vallée, il faut baisser ses coûts en investissant dans le changement d’échelle de production et élargir les débouchés. Cela s’opère rarement de façon spontanée. Une cause récurrente de mortalité est l’inadéquation des soutiens publics dans les premières étapes du parcours, comme l’a illustré l’élimination des leaders européens et japonais du photovoltaïque.

Pour ne pas rééditer de telles déconvenues, il faut sécuriser les financements dédiés à la propulsion vélique dès la prochaine Loi de finances. Cela concerne le suramortissement fiscal facilitant les investissements, déjà rogné au motif d’économie budgétaire, l’utilisation des garanties publiques devenue pratiquement impossible, et le recours à la commande publique, un engagement figurant dans le « pacte vélique » cosigné par l’Etat et les acteurs de la filière en 2024 mais resté à l’état embryonnaire.

Résister aux vents contraires

Ce réarmement national doit se doubler d’un engagement sans ambiguïté en faveur de l’inclusion du transport maritime dans le système européen d’échanges de quotas de CO2. C’est un levier essentiel pour le transport à voile qui fait face au faible coût de carburants fossiles qui ne règlent pas les dégâts de leur empreinte climatique.

Encore partielle, cette inclusion doit être menée à son terme et une partie du produit des enchères pourrait contribuer au financement des innovations du secteur. Elle est également la réponse appropriée à l’offensive de l’administration Trump dans le cadre de l’Organisation maritime internationale (OMI). En octobre prochain, l’OMI doit entériner un projet d’accord sur la décarbonation des flottes assorti d’un mécanisme de tarification carbone à l’échelle globale. Les Etats-Unis s’opposent à cette décision et menacent de représailles commerciales les pays qui appliqueraient ces régulations aux navires de commerce.

En matière de transport maritime comme dans les autres domaines, redonner de l’élan à la transition écologique, c’est aussi résister aux vents contraires qui soufflent depuis l’autre rive de l’Atlantique.

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  • Lire un dossier en deux épisodes sur la propulsion vélique dans The Conversation : ICI et ICI
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