
L’empilement des normes écologiques, source d’inextricables complexités, emprisonnerait notre industrie dans un carcan la conduisant à sa perte, nous répètent inlassablement les artisans du backlash écologique. Pourtant, ce sont les hésitations face à l’urgence climatique et la faiblesse devant les lobbies qui sont généralement à la source de cette complexité. Le recul de la Commission européenne en matière d’électrification des ventes d’automobiles, acté le 16 décembre, vient de nous en fournir une illustration magistrale.
Bonjour la complexité !
L’une des mesures phare du Green Deal européen était de généraliser les ventes de voitures particulières n’émettant plus du tout de CO2 à partir de 2035. Autrement dit, de basculer vers l’électrique, avec, possiblement, un peu de propulsion à l’hydrogène. Cette norme était loin d’être parfaite, notamment parce qu’elle ne tenait pas compte des émissions de CO2 induites par la construction des véhicules ou par la génération de l’électricité utilisée pour les recharges. Mais elle avait le grand mérite d’être simple, transparente et compréhensible par tous.
Une première mesure d’exception avait été introduite dès le départ, sous la pression de l’Italie, et plus généralement des tifosi de la Ferrari et autres Bugatti. Les constructeurs de niche seraient exemptés et pourraient continuer à produire leurs bolides rugissants en quantités limitées. Marginale sous l’angle des volumes d’émissions, la mesure envoyait un signal calamiteux : seuls les hyper-riches pourraient continuer à carburer au pétrole en étant exemptés de tout effort face au réchauffement planétaire !

Le recul opéré par la Commission est d’une tout autre ampleur. Au lieu de généraliser la vente de voitures neuves électriques à partir de 2035, elle réduit l’ambition à une réduction de 90% des émissions de CO2 de ces ventes relativement à 2021. La règle s’appliquera à chaque constructeur, sans qu’on sache aujourd’hui si une flexibilité permettra à ceux qui dépassent l’objectif de monétiser leur avantage en transférant la partie non utilisée des 10% d’émissions autorisées aux industriels dépassant la limite.
Pour que ce recul n’apparaisse pas trop comme un renoncement, la Commission va définir des règles de « compensation » donnant l’illusion que ces ventes résiduelles de véhicules thermiques ne contreviennent pas à l’objectif de neutralité : comptabiliser en crédit les économies de CO2 obtenues par l’utilisation d’acier décarboné pour la fabrication des voitures, utiliser des carburants de synthèse dans les moteurs thermiques, obtenir un « bonus CO2 » grâce à la vente de petites voitures électriques dont les caractéristiques restent à définir… Bonjour la complexité !
Boite de Pandore
En réalité, la Commission vient d’ouvrir la boite de Pandore en créant un redoutable précédant. Les industriels de l’automobile et leurs affidés ne vont pas se priver de surfer sur cette première victoire pour marchander tous les avantages qu’on peut obtenir d’une régulation devenue plus complexe, plus opaque et de moins en moins lisible par les non initiés. Bref, d’un empilement des normes, régulièrement dénoncé par les artisans du backlash.
Où cela risque-t-il de nous conduire ? A peu près simultanément au rétropédalage européen, Ford annonçait un plan de pratiquement 20 milliards de dollars pour se désengager des investissements dans la mobilité électrique lancés durant le mandat de Joe Biden. La nouvelle politique trumpienne a en effet le mérite de la simplicité : l’ensemble des normes et mécanismes de soutiens destinés à décarboner les ventes de voitures neuves aux Etats-Unis ont été démantelés.
C’est à ce type de décision qu’aspirent les artisans du backlash. Dans un premier temps, ils obstruent la mise en œuvre du Green Deal, en complexifiant ses instruments de mise en œuvre, à coup de conditionnalités et d’exonérations en tous genres. Mais quand ils auront transformé une règle simple et transparente en une construction bureaucratique complexe, ils n’hésiteront pas à tout faire pour démolir l’édifice. Pour échapper à ce piège, l’Europe doit maintenir une ligne claire sur ses objectifs de décarbonation et surtout y adjoindre les instruments les plus simples et les plus transparents possibles de mise en œuvre.
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