
« Stop ou encore ? » La formule rappelle celle utilisée par François Lévêque dans un autre ouvrage consacré à la question : Nucléaire : On/Off. Mais est-ce si simple ? Le livre d’Antoine de Ravignan est un plaidoyer pour le dépassement des oppositions stériles entre « Pro » et « Anti ». Pour ce faire, encore faut-il avoir accès à une information de qualité. Le premier mérite de Nucléaire : stop ou encore ? est de rendre accessible au lecteur une impressionnante masse d’information d’habitude réservée au spécialiste. Un grand coup de chapeau à l’auteur pour cette prouesse !
Engagé de longue date dans l’aventure d’Alternatives Economiques, l’auteur ne porte pas un regard neutre sur ces questions. Il dénonce dès le démarrage l’irresponsabilité des politiques de tous bords ayant sans cesse repoussé les décisions à prendre face au vieillissement du parc de production installé. Car la question cruciale est bien là : par quoi faudra-t-il remplacer nos réacteurs nucléaires qui produisent encore de l’ordre de 70% de notre électricité ? Stop ou encore ?
La question a été éludée durant le quinquennat de François Hollande, nous rappelle l’auteur, avec la focalisation du débat sur la fermeture de Fessenheim et le chiffre fétiche de 50% d’électricité nucléaire à viser à moyen terme. Mais que penser de la volte-face d’Emmanuel Macron qui organise dans un premier temps cette fermeture et qui, arrivé en fin de mandat, annonce au 20 heures la relance du nucléaire sans le moindre débat ? Cela fait quand-même 10 ans d’indécision. Pendant ce temps-là les réacteurs ont vieilli et on ne sait pas vraiment quand et comment ils seront remplacés. Dans les deux cas, le lecteur a l’impression d’une fuite en avant dont Antoine de Ravignan nous détaille la genèse d’un chapitre à l’autre.
La renaissance internationale du nucléaire ? Le premier chapitre décrit la toile de fond d’une industrie en déclin un peu partout dans le monde avec deux exceptions notables : la Chine et la Russie. Le changement climatique serait-il en train de changer la donne ? L’auteur n’y croit guère. Pour lui l’atome ne viendra pas au secours du climat. C’est plutôt le climat qui vient au chevet du malade pour sauver l’atome !
Les deux chapitres suivants décrivent avec luxe d’informations l’épopée française du nucléaire : ses origines militaires ; la prouesse industrielle qu’a été la construction du parc de 58 réacteurs à eau pressurisée en un temps record ; les querelles de chapelle entre EDF et AREVA à l’origine du lancement désastreux des centrales de seconde génération, sur le modèle de celle de Flamanville ; les déboires financiers qui en résultent pour lesquels personne ne semble avoir de compte à rendre et, enfin, leur impact sur la sécurité. Car si le pays n’a jusqu’à présent pas su organiser un débat serein sur l’industrie nucléaire, il a mis en place une Autorité de sûreté nucléaire indépendante qui impose des règles de plus en plus sévères pour notre sécurité, nous rappelle l’ouvrage.
Savez-vous ce qu’est le MOX ? Pourquoi l’on retraite le combustible usé ? Qu’est-ce qu’un déchet nucléaire ? En quoi est-il différent d’un combustible qu’on peut recycler ? Si on lance de nouveaux réacteurs EPR, faudra-t-il un deuxième projet CIGEO pour l’enfouissement de leurs déchets ?
Les deux chapitres « la quadrature du cycle » et « réduire et puis enfouir » sont ceux qui m’ont le plus appris. Le glossaire fournit à cette étape de la lecture une aide précieuse. Un seul regret : l’absence d’un ou deux schémas pédagogiques qui auraient fourni un soutien complémentaire. Les problèmes soulevés par le choix du retraitement des combustibles, ceux posés par le stockage à long terme des déchets dangereux sont expliqués avec beaucoup de pédagogie. A la lecture, on s’aperçoit que des choix présentés comme « de bon sens », par exemple la conversion des déchets en combustibles ou le « bouclage le cycle du combustible » pour pratiquement s’affranchir de la contrainte d’importation de minerai d’uranium sont bien plus discutables qu’il n’y paraît au premier abord. Sans évoquer leurs coûts …
Alors que faire ? Tout l’art d’Antoine de Ravignan consiste à ne pas transformer ses convictions – il ne cache pas sa préférence pour les sources décarbonées d’origine renouvelable – en dogme. L’ouvrage se clôt ainsi sur un appel à un débat serein et documenté où chacun doit savoir écouter son contradicteur. Coïncidence ? Il se trouve que la Commission Nationale du Débat Public a été consultée sur l’organisation, pour la première fois en France, d’un tel débat à peu près au moment de la sortie du livre. Je recommande vivement sa lecture à tous les citoyens qui voudront y contribuer.
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