COP28 : face au réchauffement, la clé est le désinvestissement des actifs carbonés

Tribune parue dans Le Point du 19/11/2023

Il y a deux ans, dans la décision finale de la COP de Glasgow, les pays s’étaient accordés sur un objectif de sortie du charbon utilisé sans séquestration du CO2. La COP28 ouvre prochainement ses portes à Dubai [aux Émirats arabes unis, du 30 novembre au 12 décembre], l’une des économies les plus dépendantes de l’extraction de pétrole. L’épineuse question du rythme de sortie du pétrole et du gaz d’origine fossile y sera au cœur des débats.

Pour limiter le réchauffement global en dessous de 2 °C, il faut dépasser d’ici 2030 le pic des émissions provenant de l’usage d’énergie fossile. Pour viser 1,5 °C, il faut le faire dès maintenant. Si ces échéances ne sont pas respectées, les grandes déclarations sur la neutralité en 2050 ou 2060 resteront lettre morte.

Le pic charbonnier imminent

Sur le plan économique, sortir des énergies fossiles implique de désinvestir en retirant ou convertissant les actifs carbonés : arrêter ou diminuer la durée d’utilisation des centrales électriques à charbon, encore la première source d’émission de CO2 dans le monde ; retirer les chaudières fonctionnant au gaz naturel ou au fioul (plus de 15 millions chez les particuliers en France) ; abandonner les moyens de locomotion fonctionnant au diesel ou à l’essence…

Le désinvestissement du charbon a été amorcé depuis une vingtaine d’années dans les pays développés (à l’exception de l’Australie, qui a accru sa capacité d’exportation). Il est en train de gagner la Chine et pourrait toucher prochainement d’autres grands producteurs d’Asie (à l’exception de l’Inde). C’est ce qui conduit l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à anticiper dans ses dernières perspectives un pic charbonnier imminent suivi d’un recul de 40 % de l’utilisation du charbon d’ici 2050, à politiques inchangées. Cela va dans le bon sens, mais n’est pas suffisant pour limiter le réchauffement en dessous de 2 °C.

En matière de pétrole et de gaz, le désinvestissement n’est pas amorcé. Des signaux récents suggèrent même qu’on marche à contresens : engagement à grande échelle des majors américaines (ExxonMobil et Chevron) dans les pétroles de schiste ; distribution de nouveaux permis d’exploration en mer du Nord ; investissements massifs dans les infrastructures de gaz naturel liquéfié (GNL)… À politiques inchangées, l’AIE anticipe à partir de 2030 une sorte de plateau, figeant pendant deux décennies les quantités de pétrole et de gaz utilisés dans le monde à un niveau proche de celui de 2030. Le récent rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (Unep), basé sur les objectifs affichés par les grands producteurs d’énergie fossile, est encore plus alarmant. Il prévoit une hausse de la production de pétrole et de gaz naturel, au moins jusqu’en 2050.

Changer les règles du jeu économique

La raison première de ces projets élargissant la capacité d’offre en hydrocarbures est basique. Leur rentabilité est élevée à court terme, du fait du prix du pétrole et du gaz sur les marchés internationaux. Il serait illusoire de compter sur la dynamique du marché et le comportement volontariste des acteurs pour rapprocher l’échéance du pic. Si les producteurs freinent leur production, l’offre va se rétracter, les prix vont augmenter et l’incitation à investir avec. Il faut donc changer les règles du jeu économique pour hâter le désinvestissement dans le pétrole et le gaz.

Le meilleur outil pour le faire serait d’introduire un prix du carbone sur toutes les émissions mondiales de carbone fossile. Comme lors des chocs pétroliers, cela renchérirait l’usage des énergies pétro-gazières et freinerait leur consommation. Mais contrairement au libre jeu du marché, les recettes additionnelles n’iraient plus élargir la rente des producteurs. Elles seraient prélevées par les États, pourraient être redistribuées vers les pays moins avancés et utilisées pour accélérer l’investissement dans le bas carbone et assurer l’accès à l’énergie des plus vulnérables.

La probabilité pour qu’un tel système soit adopté à la COP de Dubai est voisine de zéro ! La taxation du carbone n’a pas bonne presse chez les politiques, particulièrement chez ceux qui dirigent les économies rentières. Ce qu’on peut attendre de la COP28 est un engagement de principe des gouvernements qui élargisse et précise celui adopté pour le seul charbon à la COP de Glasgow [en 2021].

Désinvestir des actifs carbonés

Une attente irréaliste pour une COP qui se tient dans un pays pétrolier, présidée de surcroît par le patron de sa compagnie nationale pétrolière ? La réalité est plus subtile. Sultan Ahmed al-Jaber est effectivement le patron de l’Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc), l’une des grandes sociétés pétrolières du Proche-Orient. Mais il est également le cofondateur et le président de Masdar, l’un des leaders mondiaux en matière d’énergie renouvelable.

Une double position qui met bien en exergue les arbitrages à rendre. Pour que l’économie des Émirats s’affranchisse de sa dépendance au pétrole et au gaz, il faut rapidement arrêter les investissements de capacité d’Adnoc et accélérer ceux de Masdar. La clé de la baisse des émissions est bien dans le désinvestissement des actifs carbonés. C’est le même jeu de bascule qui doit être effectué dans les prochaines années pour rejoindre une trajectoire d’émission compatible avec les enjeux climatiques. Et cela concerne toutes les économies, qu’elles soient situées au Proche-Orient ou dans n’importe quelle autre partie du monde.

  • Lier l’article sur le site du Point : ICI
  • Voir les dernières perspectives énergétiques de l’AIE : ICI
  • Voir le rapport de l’ONU sur les engagements des pays (« NDC Synthesis Report ») : ICI
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