« Carbone fossile, carbone vivant » : point d’étape

Sept idées clefs à approfondir en lisant Carbone fossile, carbone vivant

Six mois se sont écoulés depuis la parution de Carbone fossile, carbone vivant. Merci à tous les lecteurs pour leurs retours. Merci à tous ceux qui m’ont invité à le présenter ou à débattre de ses thématiques. J’ai retenu de ces échanges sept messages principaux que j’ai plaisir à partager.

1. De l’abondance à la résilience

Dans l’économie que j’ai apprise sur les bancs de l’université et pratiquée lors de mes premières années d’enseignement, l’abondance des biens produits par l’homme était la finalité du système. Son accroissement permettait d’améliorer le bien-être et de renforcer la résilience.

Le réchauffement climatique et la perte de biodiversité nous imposent de changer de paradigme. L’abondance des biens est à l’origine de risques systémiques : trop de charbon, trop de pétrole, trop de gaz conduisent à une accumulation de CO2 dans l’atmosphère déréglant le climat. La finalité de l’économie devient la résilience. Pour atteindre la neutralité climat permettant d’enrayer le réchauffement planétaire, nos sociétés doivent opérer deux transformations majeures (chapitre 2) : rationner drastiquement les biens dont la production repose sur l’usage des énergies fossiles ; protéger le vivant en réinvestissant dans sa diversité.

2. Croissance, décroissance ?

Dans cette nouvelle économie de la résilience, la priorité est de se défaire des actifs économiques qui dérèglent le climat et altèrent la biodiversité. Accroître la quantité de biens et services produite n’est plus l’objectif, mais un simple solde, la priorité étant la résilience. Le livre recommande donc d’adopter, à la suite de Kate Raworth dans son essai L’économie du donut, une attitude agnostique dans le débat croissance/décroissance.

Dans certains cas, par exemple le G17 regroupant les économies les plus dépendantes de l’énergie fossile (chapitre 4), la transition bas carbone aura un coût élevé sur la croissance. A l’opposé, la croissance des pays moins avancés sera dopée et l’accès de la population aux services essentiels fortement amélioré si on est capable de mobiliser les ressources nécessaires pour y construire une économie bas carbone sans passer par la case fossile. L’Europe et la France sont dans des situations intermédiaires. L’impact de la transition bas carbone sur le régime de croissance y est incertain.

3. Repenser la notion d’équité

Lorsque les économistes se sont souciés d’équité, ils l’ont pensée comme l’ensemble des règles permettant au plus grand nombre d’accéder à l’abondance et de la répartir de façon équitable. Le climat et la biodiversité nous conduisent à repenser cette notion avec l’émergence du concept de « transition juste ».

Il ne s’agit plus de répartir correctement l’abondance des biens produits mais de trouver des règles justes pour réduire drastiquement l’usage de ceux qui détruisent la planète. La difficulté de s’accorder sur de telles règles est une constante de la négociation climatique internationale. Plus largement, l’équité est la question fondamentale soulevée par la « sobriété » sans laquelle il ne sera pas possible de stabiliser le réchauffement global. Elle se pose tant sous l’angle énergétique (pages 91-95) que pour les biens alimentaires (pages 161-179).

4. Le nécessaire « désinvestissement »

En matière énergétique, on a pris l’habitude d’évaluer le coût de la transition en agrégeant les milliards investis dans le bas carbone. C’est une erreur de méthode. Ce qui fait baisser les émissions, ce n’est pas d’ajouter du capital décarboné, mais d’enlever celui à l’origine des émissions de carbone fossile. Le véritable coût de la transition est celui du désinvestissement. Plus nos sociétés prennent du retard sur les trajectoires de décarbonation, plus ce coût s’élève.

Le désinvestissement peut prendre deux formes (PP.113-116) : le retrait ou la reconversion du capital immobilisé pour la production ou la consommation d’énergie fossile ; la diminution de son taux d’utilisation. La meilleure voie d’accélération du désinvestissement consiste à renchérir le coût des émissions en taxant le CO2 d’origine énergétique. Pour assurer une transition juste, il faut massivement redistribuer son produit vers les plus vulnérables.  

5. Systèmes agricoles et alimentaires

Un monde débarrassé de son addiction aux énergies fossiles, ne sera pas automatiquement « neutre » sous l’angle climatique. Il faudra simultanément opérer une transformation des systèmes agricoles et alimentaires, à l’origine du tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre (chapitre 5). Comme pour l’énergie, cette transformation nécessite d’agir à la fois sur l’offre et la demande.

Côté demande, la sobriété consiste à réduire la consommation des biens à forte empreinte climatique : produits alimentaires ultra-transformés et produits issus de l’élevage des ruminants. Côté offre, les systèmes agricoles devront généraliser les pratiques agroécologiques consistant à utiliser la diversité du vivant pour produire de façon résiliente face au durcissement des conditions climatiques. Ces techniques permettent également de réduire les émissions spécifiques de l’agriculture et de stocker du carbone dans les sols. Si de multiples expérimentations locales sont engagées, la difficulté est de trouver les leviers économiques et sociaux permettant de changer d’échelle.

6. Protéger les puits de carbone

Sur 100 tonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère, un quart sont absorbées par les océans et un peu plus par les puits de carbone terrestres, principalement grâce aux forêts. La capacité de ces puits est menacée par des impacts anthropiques, comme la déforestation ou la surpêche. Elle subit également des rétroactions climatiques. Par exemple, l’absorption du carbone par les forêts diminue en France malgré l’élargissement des superficie car la croissance des arbres est contrariée par les nouvelles conditions climatiques (chapitre 6).

La protection des puits de carbone concerne les impacts anthropiques et les impacts climatiques. L’action sur les systèmes agricoles est cruciale pour le stockage de carbone dans les sols et l’arrêt de la déforestation provoquée par l’extension des superficies utilisées pour la culture et l’élevage. L’action sur les puits de carbone océaniques, malgré son importance, reste un angle mort des politiques climatiques. Protéger les puits naturels est essentiel pour stabiliser la température à long terme. La biosphère terrestre et les océans stockent en effet des quantités de carbone bien plus élevées que celle du CO2 présent dans l’atmosphère.

7. Les interactions climat-biodiversité

Face au réchauffement climatique, l’action sur le carbone fossile a pris une longueur d’avance. Un facteur clef d’accélération a été la baisse historique du coût de déploiement des énergies de flux (éoliens et solaires) devenues compétitives face aux énergies fossiles. Malgré le rythme bien trop lent de la transition énergétique, cela va permettre à des pays comme la Chine ou l’Inde  de passer le pic d’émission de CO2 à des niveaux par tête bien inférieurs à ceux des pics historiques des Etats-Unis ou de l’Europe (chapitre 5).

L’action sur le carbone vivant ne connaît ni ne connaîtra de dynamique similaire. Elle est confrontée aux interactions croissantes entre climat et biodiversité qui appellent au renouvellement des stratégies traditionnelles. La segmentation historique entre atténuation et adaptation au changement climatique ne fonctionne pas pour le vivant et doit être dépassée. Simultanément, l’action sur le carbone vivant révèle la limites des approches traditionnelles de conservation de la biodiversité fondées sur les aires protégées. Pour freiner l’érosion de la biodiversité, il ne suffit pas de restreindre les accès à la nature. Il faut profondément réorganiser les activités humaines qui détruisent la diversité du vivant sans en régler ni même en mesurer les coûts pour la société. Cette réorganisation, cruciale pour la stabilisation de la température planétaire, promet d’être plus longue et plus complexe que la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles.

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