ENR : face aux vents contraires, accélérer plutôt que rétrograder !

J’ai eu le plaisir d’être invité par le journal des installateurs qualifiés dans les énergies renouvelables. Je reproduit le texte de l’entretien accordé par l’excellente journaliste Carole Rap. Message principale à ceux qui sont tentés de réviser à la baisse l’ambition de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPI) : c’est le moment d’accélérer, pas de rétrograder !

  • Quelle est votre vision du développement des énergies renouvelables au niveau mondial ?

En l’espace des 15 dernières années, les énergies fossiles, basées sur l’exploitation de stocks, ont perdu la bataille des coûts en ce qui concerne la production d’électricité. C’est une rupture fondamentale et irréversible. Les énergies de stock ne redeviendront pas compétitives par rapport aux énergies de flux pour la production d’électricité. Et ce, en intégrant le coût de l’intermittence et du stockage. C’est vrai pour le photovoltaïque et pour l’éolien terrestre, et en passe de le devenir pour l’éolien offshore. Pourquoi cela s’est-il produit depuis la fin des années 2000, alors que la technologie de transformation du vent et du soleil en électricité était déjà disponible à la fin du 19e siècle ? Pendant un siècle, les fossiles ont gagné la bataille des coûts parce qu’ils sont passés à une échelle industrielle. Dans les années 2010, c’est un renversement de l’histoire : les énergies de flux changent d’échelle de production.

  • Qu’est-ce qui explique ce récent changement d’échelle des EnR ?

Le nerf de la guerre, ce ne sont pas les innovations technologiques, c’est le passage à l’échelle de nouvelles filières industrielles. Dans le photovoltaïque, le changement de taille des usines a concerné la production des modules eux-mêmes, mais aussi celle des batteries et des électrolyseurs à l’aval et des fonderies à l’amont. Le mouvement est de très grande ampleur : fin 2023, la société leader chinoise Tongwei a par exemple annoncé un investissement de 3,9 milliards de dollars pour une seule fonderie de silicium. Dans le photovoltaïque, la dynamique est venue de la Chine. Ce qui a compté, ce n’est pas le coût du travail mais le faible coût du capital fourni par les banques publiques et la constance d’une stratégie conduite depuis près de deux décennies. Point important, la dynamique vertueuse « pour sauver le climat » se double d’une stratégie industrielle et économique qui fait de la Chine le grand pourvoyeur des moyens de production photovoltaïques dans le monde entier. Les conditions environnementales de l’industrie photovoltaïque restent à améliorer en Chine où les procédés de fabrication prélèvent beaucoup d’eau douce et où l’électricité utilisée est encore majoritairement produite à partir du charbon.

  • La France doit-elle davantage développer son industrie solaire ?

Un porte-conteneurs chargé de modules photovoltaïques permet de produire autant d’énergie que 50 méthaniers géants transportant du GNL, ou 100 cargos remplis de charbon. Autrement dit, le déploiement de l’énergie solaire réduit notre dépendance énergétique mais en génère une à l’égard de biens d’équipement. Comment la réduire ? Penser que c’est uniquement une question de subventions est une illusion. La Chine a une avance industrielle et technologique car elle a démarré beaucoup plus tôt que nous. Le faire seul est une autre illusion : pour changer l’échelle de production, il faut s’appuyer sur un marché intérieur au minimum de la taille européenne. Il faut enfin raisonner « filière  » et ne pas se focaliser sur un seul de ses maillons, comme par exemple le montage de panneaux.

  • Le photovoltaïque est-il suffisant pour couvrir notre consommation électrique ?

Même s’il n’y a pas une seule autre source d’énergie aussi abondante que le soleil, la réponse est « non » à court et moyen termes, du fait de la grande inertie des systèmes énergétiques. À plus long terme, je ne sais pas. En plus de son faible coût, le potentiel du photovoltaïque me semble résider dans son incroyable modularité : on peut l’utiliser pour recharger son téléphone portable ou pour ériger des fermes solaires d’une puissance équivalente à plusieurs EPR. C’est un avantage important, que n’ont pas les autres énergies. D’où la multiplicité de ses formes de développement, avec des applications décentralisées, des fermes solaires géantes ou encore l’agrivoltaïsme qui permet des complémentarités entre productions solaire et agricole.

  • Que pensez-vous de l’essor de l’autoconsommation ?

Elle illustre parfaitement les atouts de la modularité. L’autoconsommation individuelle est intéressante, mais l’autoconsommation collective l’est encore davantage. Pour accélérer son développement, il faut trouver des modèles économiques qui répondent à une contrainte majeure : dans le photovoltaïque, on paye la quasi-totalité des kWh au démarrage. Une fois le capital initial financé, il n’y a plus de coût variable. Si vous n’avez pas la capacité d’autofinancer l’installation avec un capital initial, vous ne pouvez pas y accéder. Lors de l’Université de l’autoconsommation photovoltaïque le 26 septembre dernier, il y avait une table ronde avec trois acteurs territoriaux de taille différente qui ont montré la palette des solutions apportées par l’autoconsommation collective pour élargir l’accès à l’électricité verte à tous, y compris dans une petite commune rurale (Montigny-en-Arrouaise dans l’Aisne, Ndlr).

  • Quelle est votre vision du rôle des professionnels du solaire ?

La qualification de la main d’œuvre est extrêmement importante. La vision d’une énergie verte qui serait simple à mettre en place est surréaliste. Technologiquement, c’est beaucoup plus compliqué de développer de nouveaux systèmes d’énergies de flux que de reproduire les filières classiques en place depuis des décennies. Pour le photovoltaïque, il y a plusieurs points cruciaux : la fourniture de polysilicium à la quantité et avec la qualité requises, puis l’assemblage des modules. Ce sont des tâches complexes qui demandent du savoir-faire. Je ne connais pas le métier d’installateur, mais je pense que cela ne s’improvise pas. Dans le solaire thermique par exemple, on a au début négligé la formation des plombiers. Or un chauffe-eau solaire ne s’installe pas comme son équivalent fonctionnant au gaz. Résultat : la filière française a pris beaucoup de retard au démarrage. Dans la transition énergétique, la question du capital humain est essentielle. Il va falloir opérer des substitutions à grande échelle, en passant de méthodes basées sur les énergies fossiles, à des méthodes basées sur les énergies renouvelables. Cela implique des restructurations et des reconversions professionnelles.

  • Que pensez-vous des signes de ralentissement politique concernant les énergies renouvelables ?

Hélas, des vents contraires soufflent de plus en plus fort en ce moment. Cela s’explique par le fait que la phase de transition comporte un volet investissement mais aussi un volet désinvestissement. Celui-ci est le plus douloureux et le plus coûteux. Les gens qui ont du capital lié à l’énergie fossile défendent leurs intérêts. Nous sommes entrés dans une phase compliquée où, si l’on veut faire baisser les émissions, il ne s’agit pas seulement de rajouter du capital vert. Il faut aussi enlever du capital gris. Nous sommes au cœur de cette bataille. Le retour de Donald Trump à la Maison blanche est une mauvaise nouvelle. Pour son premier mandat, il avait promis une relance du charbon qui n’a pas eu lieu. Va-t-il cette fois relancer le pétrole et le gaz ? Je suis dubitatif. Il est devenu moins coûteux de produire de l’électricité avec du vent ou avec du solaire. Même le gaz est de moins en moins compétitif. Pour augmenter le fracking (fracturation hydraulique), il faut investir et le coût du gaz de schiste risque alors d’augmenter. Donc, la vision d’un grand rebond sur les fossiles me paraît excessive. En revanche, la nouvelle équipe républicaine va ralentir la bascule vers les énergies de flux, tout en mettant en sourdine les incitations à économiser l’énergie. Cela aura des conséquences sur le climat car la lutte contre le réchauffement planétaire est une question de rythme. Si on ne tient pas le rythme de la décarbonation, le réchauffement s’accélère. Raison de plus pour accélérer en Europe !

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  • Lire l’interview original dans la revue Qualit’EnR Infos : ICI
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3 commentaires sur « ENR : face aux vents contraires, accélérer plutôt que rétrograder ! »

  1. A plus long terme aussi, faire tout reposer sur le solaire serait une erreur. Dans les pays tempérés, la demande d’électricité l’hiver est double de celle d’été. Le solaire est lui bien plus présent en été qu’en hiver, au contraire de l’éolien. Le rôle de l’éolien est fondamental car il évite un surinvestissement qui serait massif dans le solaire s’il devait être seul pour fournir la demande d’hiver, ou dans le stockage de longue durée. La complémentarité de l’éolien, du solaire, et partout où c’est possible de l’hydroélectricité, est fondamentale pour répondre de façon optimale à la demande d’électricité.

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  2. SOLAIRE et HYDROGÈNE ÉNERGIE VERTE / SCÉNARIO 2070 – 2080

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    1 – La situation énergétique 2024 de la France (et d’une partie de l’EUROPE) est catastrophique (GAZ Russe, situation de l’Allemagne, émissions de CO², etc.), aussi est-il STRATÉGIQUEMENT VITAL de construire dans des délais aussi courts que possibles quelques réacteurs Nucléaires de forte puissance (EPR ou autres) …

    Il ne peut en être autrement compte tenu de tout le temps perdu pour se préparer à cette transition géopolitique et écologique…

    2 – Pour autant, le COMBUSTIBLE NUCLÉAIRE étant un produit dangereux quel que soit son usage, l’auteur ne considère pas cette énergie d’AVENIR ÉTERNEL… et imagine ici un scénario alternatif nécessitant certes une cinquantaine d’années avant d’atteindre sa maturité!

    Mais c’est dès maintenant que nous devons y réfléchir… Aussi pose-t-il les jalons de cette réflexion…

    3 – Tenant compte des incidents et accidents survenus, ce quelles que soient les technologies (Aviation, Marine, Transport, Usines Chimiques, Centrales Nucléaires, etc.) il n’est pas raisonnable de considérer le ZÉRO DÉFAUT comme une hypothèse plausible quant aux RISQUES POTENTIELS à VENIR de DÉGAGEMENTS RADIO ACTIFS non contrôlables sur un ou des sites de ces Productions Nucléaires.

    4 – Le ZÉRO DÉFAUT est une vue de l’esprit… Aucune technologie n’y a résisté… Tout incident GRAVE qui ne pourra hélas que survenir ici ou là (France, Europe ou autres parties du Monde) au cours des prochaines années avec des conséquences de transferts définitifs de populations hors des zones impactées par les radiations, entrainera de facto un RETOURNEMENT IMMÉDIAT de l’ACCEPTATION de ces industries par « les PEUPLES »…

    5 – Le SOLEIL irrigue la France comme toute la planète… 1700 à 1900 Heures d’ensoleillement par an en France… La puissance moyenne d’insolation est de 1400 Watts par m².

    6 – Les sommes investies dans la RECHERCHE FONDAMENTALE dans le domaine de la TRANSFORMATION PHOTOVOLTAÏQUE sont, comparativement au NUCLÉAIRE, infiniment plus faibles et largement disséminées dans des laboratoires FRANÇAIS et EUROPÉENS, ne mettant pas leurs moyens et compétences en synergie.

    Il y a une forte perte d’efficacité des Euros investis. Cette recherche doit être et sera mise en synergie EUROPÉENNE au cours de la prochaine décennie…

    7 – Nos « SCÉNARIOS NUCLÉAIRES » ont totalement oublié l’AFRIQUE et ses deux milliards d’habitants ne disposant pas encore des compétences suffisantes dans le domaine pour éradiquer les fossiles…

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  3. Le passage en tête de la part solaire de la consommation électrique devant le pétrole est une donnée essentielle

    merci de nous avoir expliqué pourquoi elle est irréversibles.

    Gilles Balmary

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