
Tribune. Par son ampleur, l’envolée récente des prix énergétiques n’a qu’un seul précédent : le choc pétrolier de 1973. Elle intervient alors que s’engage la transition énergétique devant nous libérer de l’addiction aux énergies fossiles. Elle envoie un triple signal à la COP de Glasgow. Pour accélérer la sortie de l’économie des fossiles, les négociateurs devraient en tirer trois leçons.
La première concerne le déficit d’investissement en moyens de production alternatifs aux sources fossiles. Malgré la vive accélération des investissements opérée depuis une décennie, le déploiement des énergies renouvelables, du stockage de l’électricité et des réseaux énergétiques intelligents est trop lent pour fournir le supplément d’énergie réclamé par la reprise de l’activité mondiale.
La transition bas carbone exige en effet de réaliser en un temps record un déplacement massif de capital. Ce capital immobilisé pour produire l’énergie fossile représente aujourd’hui de l’ordre de 80 % du stock global. Il faut y substituer rapidement des capacités permettant de fournir de l’énergie décarbonée. Et donc investir plus dans le zéro carbone. D’après le scénario de décarbonation de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), il faudrait pour cela plus que doubler le montant des investissements actuels dans l’énergie.
Le risque de la stagflation
Corriger ce déficit d’investissement est une condition de réussite de la transition bas carbone. Mais ce ne sera pas suffisant. La deuxième leçon de la crise actuelle porte sur la demande d’énergie qui redémarre bien trop fort. Sans une inflexion majeure de cette demande, l’investissement additionnel dans les capacités décarbonées va s’ajouter au stock de capital existant sans s’y substituer.
Le scénario vertueux de l’AIE postule ainsi que la quantité d’énergie consommée par unité de PIB diminue de 4 % par an dans le futur. Cela représente un triplement des gains d’efficacité énergétique qui permettrait, d’après les experts de l’Agence, d’opérer la transition sans peser sur la croissance économique. L’Agence reste discrète sur les conditions d’une telle rupture historique.
Le signal envoyé par les marchés est sans ambiguïté. La rupture espérée n’est pas au rendez-vous. La reprise trop forte de la demande d’énergie génère des hausses de prix directes (énergie) et indirectes (métaux nécessaires à la transition) qui risquent de faire retomber l’économie dans un état inconnu depuis les années 1970 : celui de la stagflation.
Une action sur la demande
Pour éviter ce piège, il convient d’agir sur la demande en trouvant d’autres expédients que les rationnements administratifs du type coupures de courants pratiqués en Chine. Or, les solutions plus pérennes à mettre en place ont des implications distributives majeures. C’est la troisième leçon de la tension actuelle sur les marchés.
Depuis les travaux prémonitoires de William Standley Jevons (1835-1882) sur le charbon (1865), les économistes savent que les gains d’efficacité énergétique se transmettent au client par les baisses de prix en alimentant la demande. Il convient donc de coupler gains d’efficacité et sobriété des usages.
Par exemple, moins se déplacer en voiture individuelle ou en avion, rouler moins vite, réduire l’usage du climatiseur ou du radiateur ou encore le nombre de m2 pour se loger ou travailler,… Une telle sobriété a peu de chances de se généraliser spontanément et ne peut concerner que ceux qui ont déjà accès à un niveau élevé de consommation.
Le moyen le plus sûr d’y parvenir est de mettre en place les bonnes régulations. Les normes doivent y contribuer, mais elles ne suffiront pas. Il convient de les compléter en tarifant correctement le CO2 qui agit à la fois sur l’offre en redirigeant les investissements et sur la demande en rationnant les consommations d’énergie fossile.
Rendre plus juste la tarification carbone
La tension actuelle sur les marchés énergétiques souligne la difficulté principale du maniement de cet instrument : le prix du CO2 pèse en proportion bien plus sur les ménages à faible revenu. Il convient donc de redistribuer le produit de la taxe en ciblant prioritairement les plus vulnérables. En l’absence d’une telle redistribution, la tarification carbone rationne la consommation énergétique des pauvres. Elle génère, à raison, des réactions sociales du type « gilets jaunes » qui privent alors le pays d’un instrument clef pour accélérer la transition.
A l’échelle du monde, on se trouve face à un problème similaire. Malgré leur niveau très bas d’émission par habitant, les pays moins avancés émettent nettement plus de CO2 en proportion de la richesse qu’ils créent (mesurée par le PIB). Une tarification carbone mondiale sans redistribution aurait pour plus clair résultat de bloquer leur développement. Il rationnerait les plus pauvres. Faut-il alors renoncer à toute tarification carbone au plan international ?
Sauf à imaginer un fonctionnement alternatif de l’économie mondiale dont nul ne sait esquisser les prémisses, ce serait retarder la transition bas carbone. Le bon message aux négociateurs de la COP26 est donc le suivant : il convient de mettre en place une tarification carbone redistributive qui rationnerait la consommation d’énergie des pays les plus riches en redistribuant les ressources collectées vers les pays moins avancés.
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3 commentaires sur « COP-26 : les trois leçons de la hausse des prix de l’énergie »