Lecture de fin de semaine : « La forêt n’est pas un puits sans fonds »

Tribune collective parue dans Le Monde du 20 janvier 2024

« La forêt n’est pas un puits sans fonds« . C’est la chute percutante de l’excellente tribune publiée ce samedi dans Le Monde. C’est une lecture que je recommande à tous. La tribune est co-signée par des auteurs venant d’institutions différentes (voir ci-dessous) qui sont amenés à collaborer pour confectionner l’inventaire national des émissions, réalisé chaque année par le CITEPA pour le compte des pouvoirs publics français.

Cet inventaire fait le bilan des émissions brutes de gaz à effet de serre sur le territoire national. C’est la partie la plus regardée. Le CITEPA a également la lourde tâche d’estimer les rejets et absorptions du CO2 par les plantes et les sols afin de calculer les émissions nettes (émissions-absorptions). Ce sont ces émissions nettes qui devront être égales à zéro en 2050, pour atteindre la neutralité climat. Mais combien de tonnes de CO2 la forêt française sera-t-elle alors en mesure de stocker ?

La baisse de capacité du puits de carbone forestier

La tribune rappelle en premier lieu que la forêt française compte de l’ordre de 11,3 milliards d’arbres en 2023 sur les 17,3 millions d’hectares de forêt que compte la France métropolitaine, soit un stock de 1,3 milliard de tonnes de carbone. Quand ce stock augmente, la forêt absorbe du CO2 atmosphérique en assurant sa fonction de puits de carbone. Si ce stock diminue, elle devient alors une source d’émission.

Cette forêt continue de s’élargir, principalement sous l’action de la déprise agricole. Pourtant, comme le savent les lecteurs réguliers de ce blog, sa capacité de stockage diminue fortement depuis quelques années (voir graphique), certains massifs dans l’est de la France étant même devenus des sources d’émission (ils déstockent du CO2).

La capacité du puits de carbone forestier a diminué de moitié en une décennie

Les auteurs de la tribune nous en rappellent les raisons : « la production biologique a diminué de 4 % par rapport à la période 2005-2013, la mortalité des arbres a crû de 80 % et la récolte a augmenté de 9 %, essentiellement du fait de la récolte accélérée d’arbres dépérissant ou morts. Ces mortalités non prévues abaissent brutalement des stocks de bois sur pied qui ont mis des décennies à se constituer.« 

Que faire ?

La cause majeure de l’affaiblissement du puits de carbone est le changement du climat, à laquelle s’ajoute l’augmentation des prélèvements pour le bois énergie qui ne joue qu’un rôle secondaire. Une fois posé le diagnostic, les auteurs de la tribune tracent les voies de solution :

« La régénération naturelle ne peut permettre à elle seule une adaptation des essences pour le climat futur. Face à l’incertitude du climat futur et de son impact sur les forêts, il est essentiel de diversifier les approches techniques en mettant en œuvre une gestion adaptative et des politiques qui permettent d’atténuer l’effet du changement climatique.

Des solutions toujours gagnantes existent, comme la prévention des risques d’incendie, qui évite les déstockages massifs de carbone ou en limite fortement les impacts. Autre levier, la transformation et la restauration des peuplements vulnérables doivent faire appel à une diversité de techniques et d’essences permettant de diluer les risques« .

Les implications politiques

Dans « Carbone fossile, carbone vivant » (chapitre 6), j’ai utilisé les travaux du CITEPA sur le puits de carbone et les ai rattachés aux trajectoires retenues dans les scénarios conduisant à la neutralité climat.

Dans le cas français des scénarios de la « Stratégie nationale bas carbone », il apparaît clairement que le bouclage conduisant à la neutralité repose sur des hypothèses peu réalistes d’absorption du carbone par le milieu naturel et la forêt en particulier. Plus largement, quand on analyse les scénarios de l’Agence Internationale de l’Energie, ou ceux examinés par le GIEC, il apparaît également qu’on mobilise des capacités supplémentaires d’absorption des forêts pour des montants importants sans suffisamment intégrer les facteurs susceptibles de limiter cette capacité (le « fond du puits »).

Cela résulte du mode de construction de ces scénarios guidant les politiques climatiques. On part des contraintes du système énergétique qui ne parvient pas à réduire totalement les émissions brutes liées aux énergies fossiles. Pour « boucler » le scénario, on mobilise la forêt qui doit à la fois produire plus de bois énergie, continuer de stocker du carbone sur pieds et fournir des matériaux de construction. Dans ce type de bouclage, la capacité d’absorption du milieu forestier doit s’adapter aux quantités résiduelles d’émissions du secteur énergétique. Un peu comme si le puits de carbone forestier n’avait pas de fonds …

  • Lire la tribune dans Le Monde (accès réservé) : ICI
  • Voir notre analyse de la baisse du puits de carbone France : ICI
  • Voir notre analyse des scénarios de l’Agence Internationale de l’Energie : ICI
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