Lecture de fin de semaine : tarification carbone et bouclier tarifaire

Tribune publiée le 26 janvier 2023 dans Le Monde

Pour accélérer la transition énergétique, un excellent moyen consiste à renchérir le coût des énergies fossiles relativement à leurs substituts décarbonés. Autrement dit, à taxer les rejets de CO₂. Un tel renchérissement pose cependant un problème d’équité du fait de la vulnérabilité d’une grande partie du corps social. En France, on compte, par exemple, plus de cinq millions de ménages en situation de précarité énergétique.

Lors de la mise en place de la taxe carbone en 2014, la recommandation des experts était d’allouer aux ménages à faibles revenus un tiers des recettes attendues, sous forme d’un revenu forfaitaire. Les gouvernements successifs n’ont pas suivi cette recommandation. En l’absence de redistribution des recettes, la taxe carbone a donc fait de l’antiredistribution, ce qui a conduit à son gel, en 2018, sous les coups de boutoir du mouvement des « gilets jaunes ».

En ne mettant pas en place un instrument redistributif contrant les inégalités face au renchérissement des énergies fossiles, les pouvoirs publics ont renoncé à suivre la trajectoire de hausse de la taxe carbone pourtant inscrite dans la loi. Ils se sont également privés d’un instrument qui aurait pu être activé lors du renchérissement de l’énergie fossile provoqué quelques années plus tard par les tensions internationales et la guerre en Ukraine. Ils ont alors mis en place les « boucliers tarifaires ».

Institué fin 2021 par le gouvernement Castex pour le gaz, le bouclier tarifaire a été élargi ensuite aux autres énergies. Il a permis de limiter les pertes de pouvoir d’achat des Français captifs de moyens de transport individuels et de modes de chauffage à source d’énergie fossile. Mais, en limitant le prix des énergies fossiles pour tous, sans distinction de revenu ou de localisation géographique, le signal envoyé par l’Etat avec le bouclier tarifaire a été contreproductif en matière climatique. Il a fortement accru les subventions aux énergies fossiles, décourageant les changements de comportement à adopter pour viser la neutralité carbone. On a fait du social au détriment de l’écologie.

Imparfait chèque énergie

Le dispositif a par ailleurs coûté de l’ordre de 100 milliards d’euros au Trésor public en deux ans. Il a favorisé la dégradation de la balance commerciale du fait du renchérissement des importations d’énergies fossiles : le déficit a été multiplié par deux entre 2021 et 2022. Sur le plan macroéconomique, le bouclier tarifaire a certes permis de stabiliser la demande des ménages, mais a eu des implications fâcheuses sur les comptes publics et la balance des paiements, au moment où la transition écologique impliquerait au contraire de libérer des capacités de financement additionnelles pour l’investissement et les reconversions industrielles et professionnelles.

Pour réconcilier les impératifs de la transition énergétique et ceux de l’équité sociale, il convient de mettre en chantier un mécanisme redistributif permettant au pays de faire face au renchérissement des énergies fossiles. Cela lui permettra d’accroître sa résilience face aux chocs à venir sur les prix des énergies fossiles et surtout d’accompagner l’inclusion des secteurs du transport et du bâtiment dans le système européen d’échange des quotas de CO2 à partir de 2026.

Il existe à l’heure actuelle un instrument, le chèque énergie, destiné à contrer la précarité énergétique. Cet instrument est très imparfait. Il ne permet que de régler sa facture énergétique et se transforme donc à son tour en subvention aux énergies fossiles sitôt que la facture porte sur du fioul ou du gaz. De plus, le chèque énergie n’est versé qu’une fois par an, et, dans certains cas, avec du retard.

Basculer vers l’énergie décarbonée

L’instrument à établir à la place du bouclier doit être une véritable composante du revenu versé aux ménages sur un mode forfaitaire en leur laissant le soin de gérer au mieux leur budget. On peut le qualifier de« revenu carbone », car il doit permettre la résilience à court terme des ménages face au renchérissement des énergies fossiles, tout en maintenant l’incitation à basculer vers de l’énergie décarbonée.

Le calibrage précis de ce revenu carbone devrait être discuté avec les partenaires sociaux pour concilier les différents objectifs. Il convient en premier lieu de corriger les inégalités de revenu, qui sont la première cause de précarité énergétique. C’est techniquement assez facile à faire, mais la question cruciale est de s’accorder sur les seuils à partir desquels le revenu carbone est amputé, puis disparaît. On peut aussi promouvoir une compensation forfaitaire identique pour tous les ménages, ce qui est plus simple mais bien plus coûteux pour les finances publiques. Certains économistes préconisent d’ajouter un critère de localisation du ménage, pour compenser les handicaps liés à l’habitat dispersé, ce qui pose quelques difficultés supplémentaires.

Pour assurer l’atteinte de nos objectifs climatiques en 2030, les déclarations volontaristes et les promesses d’accélération des investissements décarbonés ne suffisent pas. Il faut mettre en place des instruments économiques. Parmi eux, un revenu carbone serait un véritable bouclier permettant à l’ensemble des ménages de bifurquer sans casse sociale vers un système énergétique zéro carbone.

Marc Maindrault(Ingénieur) et Christian de Perthuis(Economiste)

Marc Maindrault est ingénieur, responsable chaleur renouvelable chez Best-Energies/Débat

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