Limiter le réchauffement à 1,5°C : où en est-on ?

L’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) a évalué la température moyenne de 2023 à 1,45°C au-dessus de l’ère préindustrielle. Avec la prolongation de l’épisode El Niño, 2024 risque d’être encore plus chaude. Un réchauffement de 1,5°C pourrait être observé sur une année complète. D’après le programme européen COPERNICUS, c’est déjà le cas en considérant l’année glissante allant de février 2023 à janvier 2024.

En raison de la variabilité du climat à court terme, ce serait une erreur de considérer que le réchauffement de la planète a atteint 1,5°C en se basant sur l’observation d’une seule année. En se fondant sur les tendances observées de températures, on peut estimer le réchauffement actuel à 1,3°C. Si ces tendances se poursuivent, la cible de 1,5°C sera atteinte dans un peu plus de dix ans et on sera en 2050 à mi chemin entre 2°C et 1,5°C, les deux limites mentionnées à l’article 4 de l’Accord de Paris.

Les moyennes infra-annuelles : le 1,5°C atteint dès 2015 et 2016

Considérons en premier lieu les moyennes journalières de température. D’après les données reportées dans la base d’information ERA5 du programme européen COPERNICUS, les premières journées connaissant un réchauffement de 1,5°C ont été observées pour la première fois en 2015. En novembre 2023, COPERNICUS a rapporté les premières moyennes journalières au-dessus de 2°C (graphique ci-dessous). 

Concernant les moyennes mensuelles, février 2016 a été le premier mois à connaître un réchauffement de 1,5 °C relativement à l’ère préindustrielle. L’envolée du thermomètre au cours de ce mois s’explique par un épisode El Niño de forte intensité. En 2023, les moyennes mensuelles ont dépassé 1,5°C à partir de l’été.

Il ne viendrait pourtant à l’idée de personne d’affirmer qu’on a « raté » les objectifs de l’Accord de Paris en raison de ces dépassements journaliers ou mensuels. Du fait de la variabilité de court terme du climat, amplifiée par les épisodes El Niño ou La Niña, il n’est pas pertinent de se baser sur des données infra-annuelles pour jauger la distance nous séparant des objectifs de température visés par l’Accord de Paris. 

D’après les données de COPERNICUS, un réchauffement de 2°C a été observé certaines journées de novembre 2023
Comment utiliser les données annuelles

Considérons donc les données annuelles. L’OMM consolide les données issues de 6 organisations qui disposent de bases de données historiques sur les températures mondiales. Trois proviennent de centres de recherche basés aux Etats-Unis (l’agence publique NOOA , le GIS qui dépend de la NASA et le Berkeley Earth Center). Une est au Japon (JRA-55) et deux en Europe (le Hadley Center qui gère la base de donnée HadCRUT5 et le programme européen COPERNICUS qui gère la base ERA5).

Le graphique en chapeau de l’article reproduit les séries historiques produites par ces six instituts, après consolidation par l’OMM. Sur la période récente, la dispersion des estimations est assez faible. Elle augmente à mesure que l’on remonte dans le temps. Sur les périodes passées, on disposait en effet de beaucoup moins d’observations qui n’avaient ni la précision ni la fiabilité de celles fournies aujourd’hui par les satellites. Cela pose la question de la référence historique à prendre en compte pour calculer le réchauffement relativement à l’ère préindustrielle.

Le GIEC s’est penché sur cette question dans ses différents rapports d’évaluation. Il préconise de considérer la période 1850-1900 comme proxy de la période préindustrielle. En faisant la synthèse des travaux existants, il fournit une estimation de la montée du thermomètre entre 1850-1900 et la période récente (+0,69°C entre 1850-1900 et 1986-2005 d’après le 6ème rapport d’évaluation). L’OMM reprend ces travaux pour consolider les observations fournies par les 6 centres de recherche et produire l’estimation de référence du niveau de réchauffement atteint chaque année.

Enfin, le GIEC rappelle qu’une année avec un réchauffement à 1,5°C ne signifie pas que la cible correspondante de l’Accord de Paris a été atteinte. Il recommande d’utiliser des moyennes pluriannuelles. Dans le sixième rapport du GIEC le diagnostic d’un réchauffement observé de 1,1°C relativement à l’ère préindustrielle concerne ainsi la décennie 2011-2020. Pour diagnostiquer que la cible de 1,5°C ou la limite de 2°C ont été atteintes, le GIEC recommande d’utiliser un indicateur portant sur deux décennies.

Source : Organisation Météorologique Mondiale, 12 janvier 2024
Où en sommes-nous en 2024 ?

L’OMM indique qu’à la suite de la température moyenne observée en 2023, le réchauffement atteint 1,2°C sur la dernière décennie (2014-2023). En suivant les recommandations du GIEC, il faudra attendre de connaître le réchauffement moyen de la prochaine décennie (2024-2033) pour pouvoir évaluer l’état du réchauffement actuel. La méthode permet de juger a posteriori de l’atteinte ou du dépassement des cibles de température.

Par définition, on ne connaît pas les températures de la prochaine décennie. Mais on peut les estimer statistiquement à partir des évolutions du passé. Depuis 1970, la courbe d’évolution des températures moyennes suit une tendance très robuste statistiquement : le thermomètre prend 0,2°C par décennie (voir graphique en chapeau). Tant que le stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère n’est pas contenu, il n’y a aucune raison de postuler son ralentissement. Si cette tendance se poursuit durant les 10 prochaines années, le réchauffement moyen atteindra par conséquent 1,4°C sur la prochaine décennie (1,2°C +0,2°C). On peut donc considérer que nous avons atteint début 2024 un réchauffement moyen de 1,3°C, à tendance du réchauffement inchangée sur les dix prochaines années.

Bien entendu, cela montre surtout que la tendance doit être inversée de toute urgence. Si elle se prolonge sur la décennie suivante, la cible de 1,5°C sera atteinte vers le milieu de la prochaine décennie, comme cela apparaît sur le graphique. Et si elle se poursuivait par la suite, on serait en 2050 à mi-chemin entre la cible de 1,5°C et la limite de 2°C.

  • Voir la communication de l’OMM sur l’année 2023 : ICI
  • Voir l’analyse de l’année 2023 sur le site COPERNICUS : ICI
  • Voir le tableau de bord du Hadley Center : ICI
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Un avis sur « Limiter le réchauffement à 1,5°C : où en est-on ? »

  1. hier, en replay, sur Arte, j’ai regardé un documentaire sur le déclin de l’empire romain. L’année 536 a été marquée pour l’explosion colossale d’un volcan islandais qui a tellement obscurci le ciel, au point que « le soleil a donné sa lumière sans éclat, comme la lune, pendant toute l’année »… Nous savons bien que les glaciers continentaux représentent des masses considérables appuyant sur leurs supports continentaux. De par la fonte rapide de leurs glaciers multi-millénaires, ces surfaces continentales peu hospitalières perdent, de plus en plus, cette surpression considérable, au point que leurs sols remontent au point de provoquer des tremblements de terre et surtout de sérieuses relances volcaniques. Beaucoup de gens réfléchis s’inquiètent de potentielles réactions violentes de la Mère Nature, alors que d’autres se foutent complètement des émissions des GES/CO2, présentées comme foutaises des « écolos cinglés », conviction aisée leur permettant de poursuivre leurs « business as usual »… à la limite, cela finirait par ressembler à l’expression populaire, devenant aujourd’hui populiste : « Après moi le déluge »… L’ « homme moderne » a malheureusement rarement une mentalité préventive collective et se réjouit des « breaking news » associées à des évènements hors normes qui demanderont de lourdes actions curatives, généralement très mal remboursées et cicatrisées… Alors notre déclin contemporain ressemblera t-il (rapidement ?) à celui de l’empire romain, pourtant « too big to fail », avec ses catastrophes climatiques, agricoles et sanitaires épidémiques très similaires ?

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