Financements climat : comment passer à une autre échelle ?

Le Monde du 28/04/2024

L’économiste Esther Duflo a préconisé, dans une tribune au Monde, la création d’un impôt mondial pour financer les besoins croissants des pays les plus pauvres face aux impacts du réchauffement climatique. Souhaitons que cet appel soit enfin entendu. En l’absence d’une ressource spécifique, les mécanismes financiers existants ne parviennent qu’à lever des fonds indigents au regard des besoins de ces pays. Mais on pourrait aussi compléter les propositions d’Esther Duflo sur deux points : l’assiette de l’impôt à lever, les règles de distribution de cette nouvelle ressource.

L’iniquité du changement climatique est double. Les pauvres sont bien plus affectés que les nantis par les impacts du réchauffement ; leur responsabilité historique, mesurable par leur contribution à l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, est dérisoire.

Au nom de cette double inégalité, Esther Duflo calcule une dette climatique des Etats-Unis et de l’Europe à partir de leurs émissions et du nombre de décès prématurés que provoquera le réchauffement climatique dans le monde. De l’ordre de 485 milliards d’euros, cette dette est calculée par défaut. Les Etats-Unis et l’Europe ne portent pas l’intégralité de la responsabilité du réchauffement et les survivants subiront également des dommages qui ne sont pas comptabilisés.

Elle propose de régler cette dette par la mobilisation de deux ressources : le relèvement de deux à trois points de la future taxe minimale sur les multinationales et une taxation de 2 % des 3 000 plus grandes fortunes identifiées à l’échelle mondiale. Une troisième voie mériterait d’être explorée pour régler la dette climatique : taxer directement les émissions de carbone fossile, sitôt qu’elles dépassent un seuil minimal. Cette troisième voie présenterait trois avantages relativement à une assiette fiscale sur les multinationales et les grosses fortunes.

Impôts populaires

D’abord, une taxe mondiale sur le CO2 d’origine fossile redistribuée vers les pays pauvres agit sur les deux termes de l’équation. Elle incite les riches à réduire leurs émissions en exonérant les pauvres dont les émissions sont inférieures au seuil d’imposition. Sa redistribution renforce les pauvres face aux dérèglements climatiques, tout en les dissuadant de reproduire les schémas de développement basés sur l’énergie fossile.

Ensuite, les tonnes de CO2 sont une assiette moins volatile que les bénéfices des multinationales et les grandes fortunes. Ex ante, ces impôts sont populaires car la grande majorité de la population sait à l’avance échapper à l’impôt. Ex post, les assiettes fiscales en question risquent de se volatiliser et finalement personne ne paiera réellement l’impôt. Il est bien plus difficile de masquer les émissions de CO2 dont la comptabilisation à travers les inventaires nationaux, avec des méthodes validées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), est une obligation dans le cadre de l’accord de Paris [traité international sur le réchauffement climatique adopté en 2015].

Enfin, une taxe carbone mondiale permettrait de lever, et donc de redistribuer, des montants nettement plus élevés que ceux obtenus par la taxation des patrimoines et des multinationales. En taxant à 50 euros chaque tonne de CO2 émise au-delà de la moyenne mondiale par habitant en Chine, aux Etats-Unis et dans l’Union européenne, on lèverait par exemple 475 milliards d’euros, soit plus que le montant attendu des deux nouvelles taxes Duflo. En élargissant l’assiette à l’ensemble des émissions supérieures au seuil minimal, on avoisinerait 600 milliards d’euros.

Promouvoir l’agroécologie

A la suite d’Esther Duflo, il est souhaitable de distinguer les financements dirigés directement vers les ménages de ceux finançant des actions collectives impulsées par les autorités publiques locales ou nationales.

Une compensation forfaitaire monétaire par habitant est une priorité de rang un. Cette compensation est un dû. Elle devrait en conséquence être universelle, automatique et son usage laissé à l’appréciation de chaque famille qui déciderait des meilleures voies pour accroître sa résilience face au réchauffement global.

Une partie des financements pourrait être fléchée vers les gouvernements des pays pauvres, qui sont en première ligne pour faire face aux dommages croissants des événements extrêmes : vagues de chaleur, inondations, sécheresses, tempêtes. La contribution des pays riches à la compensation de ces dégâts est prévue par l’accord de Paris, mais reste lettre morte en l’absence de ressource spécifique.

L’autre priorité des financements fléchés vers les collectivités publiques devrait concerner l’agriculture, le secteur économique le plus vulnérable face au réchauffement planétaire. Les systèmes agricoles du Sud sont particulièrement exposés, tant pour des raisons géographiques qu’historiques : les modes de développement passés y ont souvent privilégié les cultures de rente au détriment des systèmes vivriers. Il est urgent de réinvestir dans ces systèmes, en promouvant les méthodes de l’agroécologie qui renforcent la résilience des producteurs face au durcissement des conditions de production. Un investissement indispensable pour éviter que la crise climatique ne se transforme en crise alimentaire.

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