
Le prix du Quota de CO2 approche la barre symbolique des 100 euros. Avec Christian Gollier nous nous étions promis de publier une tribune lorsque ce serait le cas. La voici. Elle montre le rôle crucial des enjeux redistributifs dans la transition énergétique.
La guerre en Ukraine a entraîné une violente crise énergétique en Europe qui aurait pu faire voler en éclats notre ambition climatique. Face à la raréfaction des énergies fossiles disponibles, leurs prix se sont envolés, tout comme ceux de l’électricité produite à la marge par du gaz naturel. Fallait-il encore renchérir ces prix par le jeu du « marché carbone », sur lequel s’échangent les quotas d’émissions des entreprises européennes ?
La Pologne avait proposé en 2022 de plafonner le prix du quota à 35 euros la tonne. La Hongrie avait même suggéré d’abandonner purement et simplement le système, à ses yeux une construction nuisible des technocrates bruxellois. En 2023, le doute est levé, et le prix du quota se porte bien. Il approche la barre symbolique de 100 euros. C’est une excellente nouvelle, car un tel niveau de prix accélère le rythme encore insuffisant de décarbonation de l’économie européenne.

Mieux, la guerre en Ukraine n’a pas fait dérailler le processus de réforme du marché carbone mis sur la table en juillet 2021 par la Commission européenne. En décembre 2022, le Parlement et le Conseil européen sont même parvenus à s’accorder sur trois piliers, qui vont en faire un outil central du Fit for 55 (« Ajustement à l’objectif 55 »), ce paquet législatif et réglementaire visant à atteindre l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet serre en Europe d’ici à 2030 (par rapport à 1990).
Les trois piliers
Pilier un : la baisse du nombre de permis d’émission, et donc, mécaniquement, des émissions effectives des secteurs couverts. Cette baisse tend le marché des permis et augmente leurs prix, incitant les émetteurs à décarboner leur production là où c’est le moins coûteux. Pendant une décennie, le manque d’ambition a maintenu le prix des permis à des niveaux dérisoires. Avec la cible de réduction de 55 %, c’est désormais de l’histoire ancienne. Sachant que plus de la moitié du chemin reste à faire en seulement sept ans, le défi est cependant colossal.
Pilier deux : l’extension de la tarification européenne du carbone. Elle va s’effectuer dans deux directions principales : le transport maritime, ce qui va faire payer le coût des dommages climatiques aux émissions des navires qui transportent toutes les marchandises importées que nous consommons ; les transports, l’usage des bâtiments et les petites unités de production, tous jusqu’à présent non soumis au système de permis d’émission.
Pilier trois : la suppression des allocations gratuites de permis couplée à un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Ce mécanisme d’ajustement consiste ni plus ni plus moins à faire payer aux importateurs de biens carbonés le même prix du carbone que les industriels européens. Songeons par exemple qu’au prix actuel du carbone, on augmente d’un tiers le coût de production de l’acier issu de nos hauts-fourneaux. Cette mesure est donc indispensable pour lutter contre le dumping vert et pour une juste concurrence.
Le problème des produits transformés
Très simple dans son principe, le mécanisme pose quelques problèmes techniques épineux, en particulier le traitement des produits transformés, comme les voitures contenant de l’acier. Il va surtout permettre d’abolir le système très pernicieux de distribution de permis gratuits aux industries les plus polluantes en Europe.
Cette réforme du marché carbone va générer beaucoup de recettes supplémentaires à destination du budget communautaire et de ceux des Etats membres. Sa réussite dépend largement de la façon dont sera redistribué cet argent. Il y a trois priorités. L’extension du marché aux secteurs de la mobilité et du chauffage, mauvais élèves de la décarbonation depuis vingt ans, aurait dû se faire par intégration au marché de permis actuel.
Par peur des « gilets jaunes », elle se fera dans un premier temps sous une forme édulcorée par création d’un second marché au prix plafonné à un niveau voisin de la taxe carbone actuelle en France. La réforme prévoit également de redistribuer cette manne financière aux ménages européens, à travers un fonds social qui sera constitué.
La mise en place d’un « revenu climatique »
S’il est une leçon à tirer des gilets jaunes, elle est simple : la redistribution doit s’effectuer non par des « chèques énergies » comme en France, mais en euros sonnants et trébuchants sous forme d’un « revenu climatique » versé aux plus modestes, anticipant plutôt que suivant leur perte de pouvoir d’achat.
La vente aux enchères des permis aujourd’hui distribués gratuitement aux industriels doit accélérer la décarbonation de l’appareil de production industriel, ce qui va exiger du capital, beaucoup de capital. Il convient en conséquence d’accroître les moyens dirigés vers les programmes de reconversion. Mais l’expérience montre que lorsqu’on met de l’argent sur la table, les effets d’aubaine apparaissent.
L’argent public doit bien aller vers des projets additionnels, en tenant compte du fait que la tarification du carbone rendra déjà plus rentable les investissements verts du privé, tant chez les ménages que chez les producteurs. Le produit du prélèvement à la frontière ira directement au budget européen comme c’est déjà le cas pour les droits de douane.
Une lutte contre la pauvreté dans le monde
L’Union européenne doit envoyer des signaux forts au reste du monde, montrant que ce mécanisme n’est pas une forme nouvelle de protectionnisme, déguisée en vert. Le signal le plus important serait de rediriger rapidement et massivement une partie de ces recettes additionnelles vers les pays pauvres au titre de la solidarité climatique.
Il y a urgence en la matière. A la suite du Covid, du renchérissement des matières de base aggravé par la guerre en Ukraine et des chocs climatiques à répétition, tous les indicateurs du développement sont passés au rouge depuis trois ans. La lutte contre le réchauffement du climat est devenue indissociable de la lutte contre l’aggravation de la pauvreté dans le monde.
Bonjour Christian,
Bel article sur les quotas de CO2, merci ! Oui, cest une bonne nouvelle que ce marché se consolide et soit géré aux frontières de lEurope à linstar des céréales en leur temps avec le mécanisme des restitutions.
Japprends grâce à votre article que les quotas vont être étendue aux transports, aux bâtiments et aux petites unités de production ce qui devrait permettre de justifier des investissements nouveaux dans ces secteurs.
Nous sommes sollicités pour un projet de création dune activité de broker sur le marché des CCV Crédit Carbone Volontaire : nous avons une vraie interrogation de fonds sur la solidité et la pérennité de ce marché notamment au regard des marchés carbones réglementés EU-ETS et par exemple CEE en France. A moyen long terme, ces marchés CCV auront-ils leurs places ? Si vous avez un article ou une idée sur le sujet, jen échangerai volontiers.
Bien amicalement,
Christophe
Christophe GUILLAUME +33 6 86 48 14 79 [signature_3740767162] 57 bis, place Rihour 59 000 Lille
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Bonjour Christian Cette tribune est la bienvenue; je me pose trois questions :
1/ les produits finis comme l’automobile ne sont pas soumis au CBAM cela va mécaniquement faciliter la pénétration des voitures électriques low-cost chinoises. Je pense que c’est un pb sérieux et dont je ne sais pas bien calculer l’impact, (une voiture ce n’est pas que de l’acier) mais c’est pas qu’un sujet technique. Pour les batteries qui sont aussi un pb sérieux je pense qu’il est traité par un règlement européen mais il aurait été sinon redevable de la meme remarque Il y a sans aucun doute d’autres activités concernées? Cela étant je pense que vous auriez pu évoquer le calendrier de la mise en place de ce mécanisme; si je comprends c’est pas vraiment demain,…
2/ n’y a t il pas dans la hausse du prix des quotas un effet conjoncturel lié au manque de nuke et à la hausse du prix du gaz (qui génère un report sur le charbon, le prix charbon+ quotas étant égal au prix du gaz + quotas )? L’élec c’est la moitié du marché non?
3/ ce serait bien de montrer en meme temps les émissions européennes de CO2 pour voir si elles ont baissé avec la hausse des prix des quotas. On peut se dire par exemple que la hausse des quotas a surtout généré une hausse des prix, et que pour bcp l’élasticité volume au prix étant faible au total on a consommé juste un moins d’électricité (mais avec au total plus de carbone, donc plus d’émissions)
Je suis bien conscient qu’on peut penser que si le dispositif n’avait pas été resserré on aurait sans doute encore plus consommer de charbon.
Merci de tes réponses amitiés Alain Ps j’ai attaqué la lecture de tes 4 premiers chapitres
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Bonjour Alain et merci de ton commentaire. Quelques éléments de réponse :
1/ Le problème des produits transformés est le plus important pour ce mécanisme. Il fait parti des questions non tranchées qui seront examinées dans une close de revoyure d’ici 2 à 3 ans. J’avais soulevé la question dans un séminaire monté à Florence avec la Commission Européenne à l’amont du Fit for 55. La question est évoquée dans un article du site : https://christiandeperthuis.fr/2021/07/16/le-marche-carbone-en-europe-2-lajustement-a-la-frontiere/
2/ Il y a un effet conjoncturel important sur la période récente : la baisse très forte du prix du charbon. Cela montre que le système fonctionne : au lieu de générer une hausse de la consommation de charbon en Europe, cette baisse fait remonter le prix du quota.
3/ La baisse des émissions couvertes par EU-ETS est plus forte que celle des émissions totales. Au sein des secteurs couverts, elle est bien plus forte pour ceux qui n’ont plus d’allocations gratuites depuis 2012. CQFD
Amitiés et bonne lecture !
Ch.
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